Et si Cardijn revenait ? Homélie de Mgr Jean Kockerols (01/05/2017)

Dans le cadre de la commémoration des 50 ans de la mort de Joseph Cardijn ce lundi 1er mai, Mgr Kockerols nous a offert une homélie très remarquée.
En voici le texte complet ci-dessous.


Et si Cardijn revenait ? Comment s’adresserait-il aux jeunes travailleurs ? Et, à travers eux, que nous inviterait-il à voir ? Comment nous aiderait-il à juger ? Dans quel sens nous appellerait-il à agir ?  Permettez-moi d’évoquer cinq défis propres à notre temps, en me référant à celui qui semble en être un vrai disciple de Cardijn, un certain François.

Cardijn a connu l’avènement de pouvoirs forts, dont certains avaient pourtant été démocratiquement élus. Nous sommes témoins ces jours-ci d’une montée en apparence inexorable de populismes en tous genres et d’un électorat prêt à donner sa voix à des hommes et de femmes qui les manipulent en leur présentant des argumentaires aussi simplistes qu’égocentriques. Bien des facteurs peuvent expliquer ces populismes ; aucun ne pourrait les justifier. Cardijn se plairait à démonter ces faux argumentaires et mettrait en garde contre des réponses manichéennes à des questions si complexes. Il nous aurait aidés à déplacer notre indignation, parfois légitime, voir même notre insoumission, vers une prise de responsabilité dans la marche du monde.

Au moment où Donald Trump prêtait serment, le pape François déclarait[1] : « Bien sûr, les crises provoquent des peurs, des inquiétudes. Mais gare aux populismes qu’engendrent les crises et qui poussent à élire des soi-disant sauveurs ». Cardijn s’y retrouverait bien.

Cardijn a pu connaître de loin certains crises migratoires. Qu’aurait-il dit, confronté à celles dont nous sommes aujourd’hui témoins ? Comment aurait-il fulminé face à la frilosité de nos pays à accueillir l’étranger ? Il nous aurait aidés à déceler les faux réflexes identitaires et dénoncer ces attitudes scandaleuses de construire des murs ou des barbelés à nos frontières. Mais aussi des murs administratifs, qui sont de faux prétextes pour sauvegarder une identité.

Le tout premier voyage du pape François a été à Lampedusa. Il en a été bouleversé. Il a parlé, mais surtout à force d’en parler, de poser des gestes forts, d’interpeler sans arrêt, il en a fait une action prioritaire de son pontificat. « Comment faire, écrit-il dans un message pour la journée des migrants, pour que l’intégration se transforme en un enrichissement réciproque, ouvre des parcours positifs aux communautés et prévienne le risque de la discrimination, du racisme, du nationalisme extrême ou de la xénophobie ? La révélation biblique, ajoute-t-il, encourage l’accueil de l’étranger, en le motivant par la certitude qu’en agissant ainsi on ouvre les portes à Dieu lui-même et que sur le visage de l’autre se manifestent les traits de Jésus-Christ. »[2] Cardijn s’y retrouverait bien.

Cardijn est mort en 1967, au milieu de ce qu’on a appelé les golden sixties. A l’époque, bien peu de gens étaient conscients qu’on avait commencé à dilapider les richesses de la planète. Qu’aurait-il dit aujourd’hui, en voyant la facture écologique de ce que nous dépensons pour un bien-être finalement très relatif ? Il nous aurait aidés à revoir nos modèles de consommation.

Le pape François défend un modèle d’écologie intégrale, qui prône la sauvegarde de notre maison commune, sans jamais dissocier l’humain de son environnement. Nous vivons, écrit-il dans son encyclique Laudato Sii’,  une seule et complexe crise socio-environnementale[3]. « Tout est lié », répète-t-il sans cesse. Cardijn s’y retrouverait bien.

Cardijn a vu naître le projet européen, une communauté économique européenne qui comptait six pays membres. Il aurait été enthousiaste à voir tant d’autres pays rejoindre ce projet, dont les fondements sont la paix et l’entente entre les peuples. Il nous aurait aidés à retrouver cette intuition, à l’heure où certains préfèrent un illusoire repli sur soi. Il nous aiderait à croire qu’une Europe plus unie a pour finalité un monde meilleur.

Le pape François, en recevant tout récemment les Chefs d’état de l’Union, se posait la question : Quelle espérance pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain ? Nous trouvons les réponses précisément dans les piliers sur lesquels (les Pères fondateurs) ont voulu édifier la Communauté européenne (…) : la centralité de l’homme, une solidarité effective, l’ouverture au monde, la poursuite de la paix et du développement, l’ouverture à l’avenir. »[4] Cardijn s’y retrouverait bien.

Enfin, Cardijn serait peut-être un peu déboussolé de rencontrer les jeunes de maintenant. Mais il garderait son enthousiasme et il nous aiderait à croire aux générations qui suivent, à leur faire confiance et à les soutenir.

Le pape François demande à tous chrétiens de donner aux jeunes de bonnes raisons pour s’engager. Cela ne vaut pas que pour le mariage, comme dans Amoris Laetitia. On y trouve cette si belle invitation : « vu que les résistances des jeunes sont fortement liées à de mauvaises expériences, il est nécessaire de les aider à faire un cheminement de guérison de ce monde intérieur blessé, en sorte qu’ils puissent arriver à comprendre et à se réconcilier avec les êtres humains et avec la société »[5]. Cardijn s’y retrouverait bien.

Il est temps de conclure.

On voit beaucoup, mais on voit si mal. Cardijn, François nous invitent à partir de la réalité.
On juge beaucoup, mais on juge si vite. Cardijn, François nous appellent à un vrai discernement.
On agit dans tous les sens, mais sans beaucoup de courage et sans générosité. François, si désireux de la rencontre, Cardijn, s’il revenait, nous montrent qu’il ne faut pas céder au fatalisme, mais qu’aujourd’hui encore, enracinés dans la foi au Christ, on peut être témoin d’espérance.

Amen.

+ Jean Kockerols
Evêque auxiliaire de Malines-Bruxelles

[1] Interview dans le journal El Pais  du 21 janvier 2017.
[2] Extrait du Message du Pape François pour la journée mondiale des migrants et des réfugiés 2016 [17 janvier 2016].
[3] Encyclique Laudato Sii’ n° 139.
[4] Discours du Pape François aux chefs d’état et de gouvernement de l’Union Européenne (24 mars 2017).
[5] Exhortation apostolique Amoris Laetitia, n°272.


Voir aussi : La célébration du 1er mai en podcast vidéo