A Lublin, sur les pas de Jean-Paul II

Urszula KUL fevrier 2016 © Thomasz KoryszkoDes jeunes à Lublin

Sur les pas de Jean-Paul II

[version longue de l’article paru dans le Pastoralia de juin 2016]

Lors des JMJ, les diocèses belges francophones séjourneront une semaine à Lublin, ville à l’est de la Pologne, avant de rejoindre Cracovie. Nous avons interviewé Urszula Paprocka-Piotrowska, professeur à l’Université Catholique Jean-Paul II (KUL) de Lublin, romaniste de formation et actuellement vice-recteur en charge de la promotion et des relations internationales.

Quels sont les liens qu’entretiennent la KUL et l’Université catholique de Louvain (UCL) ? 

Notre coopération internationale avec l’UCL est une des plus longues et des plus anciennes. Cet accord relevait d’abord de relations personnelles entre les professeurs des deux universités. En s’officialisant, des liens forts et privilégiés ont pu être créés avec l’UCL. En effet, pratiquement tous les professeurs qui travaillent au département de français à la KUL sont des anciens de Louvain-la-Neuve. Ils étaient boursiers et ont passé six mois à l’UCL, ce qui fut mon cas en 1991. Dans les années 1980, c’était quelque chose d’unique et d’exceptionnel de pouvoir étudier un quadrimestre à Louvain.

De plus, le département de français de la KUL est basé sur le modèle des programmes de l’UCL : on ne parle de Philologie romane qu’en Pologne et en Belgique. Beaucoup d’éminents professeur de l’UCL sont passés par Lublin pour enseigner et soutenir moralement les professeurs de la KUL, car il y avait alors peu de possibilités de partir et de pratiquer le français dans les années 1970-80.

Quelle fut l’importance de la KUL dans la vie de Jean-Paul II ?

Jean-Paul II a été liée à l’université de Lublin pendant 24 ans. Il a commencé sa carrière en tant qu’assistant en philosophie et a ensuite dirigé la chaire d’éthique. Après son ordination épiscopale en 1958 et malgré sa nouvelle mission à Cracovie, il a continué à diriger la chaire et à publier des ouvrages fondamentaux en philosophie et sur l’amour conjugal à Lublin, et ce jusqu’à son élection au Saint-Siège, en 1978.

Il revenait plusieurs fois par mois à la KUL en train. De la gare à l’université, il marchait en s’arrêtant dans des églises. Aujourd’hui, ce trajet est devenu comme une sorte de pèlerinage, car des « promenades » y sont organisées. Lorsque le pape est revenu à Lublin pour rencontrer la communauté académique en 1987, il lui a lancé ce défi : « Université ! Sers la Vérité ! Si tu sers la Vérité – tu sers la Liberté ». Cette phrase avait beaucoup de sens à une époque où le Mur de Berlin n’était pas encore tombé.

Dans quelle mesure la foi chrétienne est-elle encore présente au sein de l’Université ?

Il est sans doute difficile pour moi de pointer du doigt ces éléments, car nous sommes fort imprégnés par les valeurs chrétiennes. De façon purement formelle, le recteur est un prêtre. Le campus central est un ancien couvent avec une chapelle, lieu important pour la communauté académique. Tous les moments clefs de l’université incluent une eucharistie. Cela souligne ce que nous considérons comme le plus important : le lien direct avec l’Église, la célébration de la messe, la prière avec l’université rassemblée. La communauté académique est donc aussi une communauté religieuse, dans le sens de celle qui prie ensemble. Pendant ces célébrations, le recteur célèbre la messe avec les autres prêtres qui sont professeurs, doctorants, doyens, étudiants polonais ou étrangers. Lors de la fête de l’université, le 3 juin (solennité du Sacré-Cœur de Jésus), il y a encore plus de prêtres. Je trouve cela très beau de voir autant de jeunes prêtres, dont certains sont mes collègues, entourer l’autel et prier ensemble.

En outre, pour que l’Université puisse être reconnue comme catholique, il faut trois facultés « dogmatiques » : la faculté de philosophie, de théologie et de droit canon. Ces trois facultés sont reconnues comme les meilleures en Pologne et d’excellent niveau en Europe et dans le monde (ndlr : d’où le nombre élevé d’étudiants étrangers).

Au niveau des programmes, le caractère catholique de l’Université exige que tout étudiant inscrit chez nous suive des cours qui lui présentent les fondements de la Foi chrétienne : éthique, enseignement social de l’Église, histoire de la philosophie, logique, exégèse. La KUL adopte une position claire : l’université est un lieu de recherche, où l’on se pose des questions, et où des réponses sont apportées. L’université respecte les autres convictions, mais elle demande que chacun respecte ses valeurs chrétiennes.

Quels sont les défis actuels de l’Université ?

Un défi auquel toutes les universités catholiques doivent répondre, est, me semble-t-il, de savoir quelle place occupent les universités catholiques dans le monde aujourd’hui, dans une société de plus en plus laïcisée. Il faut essayer de nous retrouver dans cette réalité, dans un monde qui est très différent de ce que nous avons connu il y a 25-30 ans.

Un autre enjeu est de comparer la situation de l’Université à l’époque communiste à celle de maintenant. Les choses étaient alors pour une part plus faciles car la KUL était un îlot de démocratie, de vérité, de liberté, où les valeurs humaines au sens pur avaient leur place, et où l’on pouvait débattre. Notre université a accepté pendant cette période des étudiants et des professeurs qui avaient été renvoyés des autres universités pour leurs convictions politiques. La situation a changé, nous sommes dans un monde libre, nous vivons dans l’Europe et nous avons des problèmes sociaux et démographiques qui s’accumulent. La question est de savoir comment porter et aider la société, en tant qu’université catholique, dans cette situation relativement nouvelle par rapport à ce que nous avons vécu jusqu’à présent. Nous cherchons des réponses mais elles ne sont pas faciles.

Pourquoi accueillir les Journées mondiales de la Jeunesse en Pologne et particulièrement à Lublin ?

Outre l’aventure spirituelle, c’est aussi une très forte expérience de rencontre de l’autre, de cultures et de comportements différents. Pour la Pologne, l’enjeu est d’attirer les jeunes du monde entier pour nous montrer tels que nous sommes et non pas selon certains préjugés.

Tout au long de son pontificat, Jean-Paul II était très proche des jeunes. Ils avaient une place spéciale dans son cœur. Nous sommes la seule université dont un des professeurs est devenu pape et ensuite saint, et nous en sommes très fiers. Sa présence est palpable à Lublin, voilà pourquoi le diocèse est porté par un élan particulier pour l’organisation des JMJ. Dès le départ, la KUL a proposé son aide au diocèse, et c’est la seule université polonaise qui prend autant part à ces préparatifs. Nous sommes convaincus que Jean-Paul II intercède pour ce qu’il a laissé à Lublin, et si nous investissons autant pour ces JMJ, c’est parce que nous voulons transmettre cet héritage qu’il nous a confié. Me concernant, Louvain-la-Neuve, Bruxelles et la Belgique ont contribué à me donner un élan pour progresser dans mes recherches. Voilà pourquoi, lorsque j’ai entendu que les diocèses belges cherchaient un diocèse d’accueil avant la semaine à Cracovie, je me suis sentie redevable dans le bon sens du terme. Ce que j’ai reçu il y a vingt-cinq ans, c’est à présent à mon tour de le donner à ces jeunes.

Propos recueillis par Carole Van Robaeys