« Fratelli Tutti » : Lecture en temps de confinement par Benoît Lobet

A quoi passer son temps quand on ne peut pas sortir ?
Evidemment, et entre autres, à lire… Et pourquoi ne pas « s’attaquer » à un texte sans doute exigeant, ce genre de texte qu’on lit peu même si l’on est un chrétien fervent, et qu’on appelle une « encyclique », par lequel un pape exprime sa vision du monde sur un point particulier ou général ?

On dira : trop technique, trop lourd, écrit sans doute à plusieurs mains – autant d’excuses pour ne pas lire. Pourtant, un ami français, athée et passablement anticlérical, écrivain, traducteur et éditeur, m’appelle il y a quelques jours et me dit : « Vous avez lu Fratelli tutti ? C’est le plus grand texte écrit depuis des années sur la condition humaine, et le plus puissant écrit ces temps-ci sur la situation présente du monde. D’habitude, je n’aime pas les papes, mais là, chapeau, le François ! » Que nous soyons ainsi invités par des lecteurs « de l’autre bord » à nous pencher sur notre propre fonds, voilà qui me semble intéressant.

Lisons, donc. Je ne vais pas ici proposer un résumé de ce texte en effet admirable, mais simplement signaler qu’il rassemble et actualise ce qu’on nomme souvent la « doctrine sociale de l’Eglise », ce trésor d’enseignement qu’elle porte en elle depuis les Pères (voyez saint Basile le Grand, par exemple, dès le IVème siècle) et surtout depuis l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII en 1891, écrite dans le contexte de l’industrialisation forcenée de l’Europe avec toutes les conséquences sociales, quelquefois dramatiques, que cela entraînait. Depuis, pratiquement tous les dix ans, les papes ont rédigé leur synthèse personnelle et apporté leur enrichissement particulier à ce point de vue trop méconnu des chrétiens (et des catholiques) eux-mêmes. Je songe par exemple à Laborem exercens de saint Jean-Paul II (1981) ou, du même, à Centesimus annus (1991, pour le centenaire de l’encyclique de Léon XIII), deux textes qui reflètent l’expérience et la réflexion du pontife polonais en matière de droit au travail, mais aussi de propriété du capital, d’actionnariat ouvrier, de prise de distance à l’égard des systèmes collectiviste et libéral – le travail, disait-il, donnant droit à une certaine propriété sur l’outil de travail, sur le capital, donc.

Savons-nous que notre foi est ainsi critique de certains principes que nous pourrions penser sacro-saints, comme celui de la propriété privée ? Que celle-ci ne peut être légitime qu’étant sauve la destination universelle des biens (les biens de la terre – pensons aux biens de première nécessité, comme l’eau, l’alimentation, le logement, mais aussi l’éducation, etc. – étant foncièrement destinés à tous) ? « Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés ; et cela comporte des conséquences très concrètes qui doivent se refléter sur le fonctionnement de la société. Mais il arrive souvent que les droits secondaires se superposent aux droits prioritaires et originaires en les privant de toute portée pratique », constate et déplore ainsi François (F.T., 120, p.88)

Ce n’est là qu’un exemple de la surprenante synthèse qu’on lira dans ces pages. Une vision dynamique s’y déploie, absolument conforme à l’enseignement de l’Evangile et de l’Eglise, et dont on redécouvre pourtant la modernité et la pertinence. L’être humain ne s’accomplira qu’en ouvrant son cœur et ses bras à l’exercice sans cesse recommencé de la fraternité universelle, celle dont rêvait le Poverello d’Assise.

Alors, puisqu’on ne peut guère sortir, calons-nous dans un bon siège, encyclique dans une main et de quoi annoter dans l’autre, lisons et travaillons ce texte qui nourrira notre foi. On ne perdra certainement pas son temps…

Benoît Lobet
Doyen de Bruxelles-Centre

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