Incroyable ! Il est ressuscité des morts | Homélie de Pâques de Mgr Jean Kockerols

Incroyable ! Il est ressuscité d’entre les morts. Ce n’est pas croyable. Bien des gens autour de nous partagent cette évidence. Et nous-mêmes, il nous arrive d’être assailli de doutes. C’est incroyable. C’est même indicible. Pour « dire » que Jésus est ressuscité, du jamais vu, l’Eglise a dû trouver les mots en allant puiser dans le vocabulaire existant. Ici, en saint Jean, Jésus devait « se relever »d’entre les morts. Ou dans d’autres passages: « il s’est réveillé ».

Nous sommes de fait trop habitués au verbe ressusciter. Mais cette réalité est si difficile à dire, et a fortiori à comprendre et à croire. Alors, quand Pierre se met à prêcher (cf Actes des apôtres), il raconte l’histoire de Jésus, dont il a été témoin. « Jésus, là où il passait, faisait le bien« . C’est en ayant fait chemin avec Jésus, en l’ayant vu et entendu, en étant devenu son familier, que le disciple bien-aimé, vous, moi, peut comprendre… et croire.

Jésus, au long de sa vie, a cassé des murs de haine, de désespoir, de maladie, de mort. Jésus a rassemblé ce qui était dispersé; il a annoncé ainsi un monde nouveau, une création nouvelle. Quand il parle, c’est pour arracher à des certitudes confortables et pour mettre en mouvement. Sa parole ouvre les yeux à tout autre chose, un au-delà : c’est un réveil. Jésus guérit et pardonne, et ce sont à chaque fois des relèvements.

Jésus s’est placé volontairement dans les impasses de l’existence humaine et il a montré que leurs portes, qui semblaient si hermétiquement fermées, pouvaient être brisées. Avant que la pierre du tombeau ne soit roulée, il y avait eu bien des pierres, bien des murs qu’il avait fait s’écrouler. La présence de Jésus, sa parole, ses actes ont donné l’avant-goût de la résurrection. Par amour. Voilà ce qui a permis à ses proches de comprendre, serait-ce lentement, l’incroyable. Voilà ce qui, à nous aussi, nous permet d’entrevoir ce qui avait été promis.

Encore leur fallait-il croire que ce qui avait été promis était devenu réalité. Le disciple bien-aimé  vit et il crut.Mais il ne vit pas grand chose. Des linges rangés à plat, un suaire roulé à part, à sa place. C’est en ordre, mais c’est peu. Dans d’autres passages d’Evangile, lorsque le Ressuscité se donne à voir, il n’est pas si évident de le reconnaître. Des indices peuvent aider: le geste du pain fractionné, le souhait de la paix, le souffle donné. Mais c’est si peu, face au défi lancé, non plus seulement à notre raison, mais à notre foi.

Nous voilà bousculés dans notre liberté, mis au défi de l’accueil de cette Bonne Nouvelle. Parce que la résurrection ne peut rester au niveau de la tête, d’un fait: il resterait extérieur à nous-mêmes. Elle doit descendre au cœur et dans toutes nos tripes, dans toute notre personne. La foi en la résurrection est peut-être le plus grand défi à la raison, mais c’est avant tout le plus grand défi lancé à notre liberté, à notre personne, à notre humanité.

Osons-nous croire en l’amour invincible de notre Dieu ? Osons-nous croire en un Dieu qui fait passer de la mort à la vie ? Qui descend aux ténèbres et dans l’ombre de la mort, pour ramener aux chemins de la paix ? Qui attire à lui tous ceux qui éprouvent dans leur existence des portes hermétiquement fermées, des situations infernales. Ces portes-là sont définitivement brisées. « Crois-tu cela » demande l’Eglise qui questionne notre foi au baptême. Osons-nous cet Amen? « Oui Seigneur, je crois« .

Mais si la résurrection se donne à comprendre et à croire, nous ne pourrions en rester là, en pâmoison. Saint Pierre ne peut faire autrement que de l’annoncer. Et saint Jean écrira plus tard : « Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, puisque nous aimons nos frères » (1 Jn 3,14). Notre monde est en attente de résurrection, il nous attend au tournant. Les chrétiens, n’en déplaise à certains, ont mission d’y être ferments d’espérance.

La résurrection du Christ les bouge, les transfigure et les fait agir par amour, comme le Christ. Leur vie est pour aujourd’hui une parabole: elle doit déranger, interroger, relever, réveiller, ressusciter. Par le pardon donné et reçu, leur vie doit être signe d’une nouvelle création, dans la force de l’Esprit-Saint. Il en va de la cohérence même de notre foi. Et de sa crédibilité. Entendrons-nous un jour quelqu’un nous dire que ce que nous faisons de bien est incroyable? Ce sera peut-être l’indice que nous partageons la vie du Christ ou plutôt que nous accueillons la vie que le ressuscité nous donne en partage. Incroyable, n’est-ce pas ?

Mgr Jean Kockerols, évêque auxiliaire pour Bruxelles