Andrea Riccardi
Périphéries
Crises et nouveautés dans l’Eglise
Cerf – 2016 – 195 pages – 18€
ISBN 978 – 2 – 204 – 11479 – 0
Au moment où certains se lamentent sur les vicissitudes de l’Eglise institutionnelle que ce soit sur la baisse de la pratique religieuse ou la raréfaction des prêtres, la lecture de ce livre sera une bouffée d’espérance.
Dans un premier chapitre, intitulé « Le retour des périphéries », l’auteur essaye de nous communiquer son diagnostic sur l’époque actuelle. Nous faisons face à d’importants changements de société qui ne sont pas sans influencer la vie de l’Eglise : « La perception de la ville comme communauté de destin a disparu. » (p.17). L’Eglise est aussi devenue universelle si bien que les Eglises de la périphérie (du Tiers Monde) ont fait une entrée en force dans l’univers du catholicisme (p.19) Mais malgré tout cela, l’Eglise a cherché à maintenir son caractère institutionnel. Elle n’a pas choisi les périphéries. Un repositionnement fondamental, une restructuration est tout à fait de mise (p.34) ; de là l’intérêt de l’appel du Pape François en faveur des périphéries (p.7 & 22)
Dans son 2ème chapitre, nous retrouvons le Riccardi, historien, qui nous parle des périphéries dans la primitive histoire du Christianisme en commençant par l’époque biblique (p.35). S’il mentionne que les périphéries n’ont jamais été totalement oubliées, il affirme cependant que « sur le long terme, un divorce tendanciel s’est produit entre l’Eglise et les êtres de la périphérie » (p.53) Déjà sous Grégoire le Grand, Rome, centre de l’Empire, est devenue marginale. Il fallait un nouveau départ et ce fut l’œuvre des moines ou ermites au désert, exemple révélateur d’un nouvel essor périphérique par rapport à l’institution (p.60-66).
Le 3ème chapitre veut nous présenter les périphéries d’aujourd’hui. Il s’agit en fait de l’histoire récente du Catholicisme en Europe. L’auteur s’étend sur l’exemple de la ville de Paris avec le Cardinal Suhard : la Mission de Paris ou Mission de France. Tous constatent douloureusement que beaucoup s’éloignent de l’Eglise et de ses institutions paroissiales. C’est la constatation des nouvelles périphéries. Dès 1943, le Cardinal Suhard perçoit la nécessité de s’insérer dans les mondes périphériques : « Il faut sortir de chez nous, aller chez eux ! » (p.84) Cela revenait à reconstruire des communautés chrétiennes depuis la base ; soit faire renaître l’Eglise depuis l’intérieur du monde périphérique (p.100-102). C’est ce que plusieurs ont essayé et l’auteur nous présente alors les efforts de Charles de Foucauld, la communauté Sant’Egidio dont il est le fondateur ; sans oublier quelques femmes comme Petite Sœur Madeleine de Jésus et sa congrégation internationale ainsi que Madeleine Delbrel en banlieue parisienne. Pour tous et toutes, il ne s’agira pas de « guider mais être avec » (p.128), ne pas chercher à exercer une influence mais réaliser une présence humaine et évangélique (p.131). C’est un apostolat et une présence centrée sur l’Evangile « lu et vécu en périphérie » (p.119) et qui, ainsi, apporte une annonce, une énergie, un rayon de lumière, une espérance (p.123). Ce sera alors la manifestation d’une « Passion évangélique pour la périphérie » (p.138) ; le début d’un cheminement progressif d’une communauté ecclésiastique à une Eglise du Peuple (p.149). Ce sera une route que notre auteur identifie à « l’exode » (p.150)
On ne trouvera pas dans ce livre une description qui nous permettrait de comprendre la nature de ces périphéries. Riccardi n’est ni un anthropologue ni un sociologue. Il fait état de notre époque comme « recouverte d’une poussière de formes multiples de religiosité » (p.149) On peut y voir une évocation des sociétés multi religieuses ou multi convictionnelles de nos jours. Deux fois seulement il y fait mention des musulmans (p.137 & 150) en nous interpellant sur notre capacité à nous laisser questionner par la présence des autres (p.150)
Son dernier chapitre intitulé « Fragments de vie chrétienne en marge » nous donne, pour ainsi dire en annexe, d’autres exemples de vie et de témoignage en périphérie.
Il y a bien des années, l’abbé Godin avait écrit un livre emblématique : « France pays de Mission ». Aujourd’hui, nous avons Andrea Riccardi et son livre sur les périphéries. Il nous lance un appel qu’éclaire une de ses conclusions : « La régénération de l’Eglise et de la vie chrétienne part précisément de la passion pour les périphéries et pour les êtres de la périphérie : on peut même dire qu’elle part de la redécouverte de la tâche joyeuse de vivre et de communiquer l’évangile dans la périphérie. » (p.151)
Allons-nous entendre son appel ? Les plus jeunes oseront ils se lancer au sein des périphéries ? Et les plus anciens sauront ils leur laisser l’espace nécessaire pour répondre à cet appel. L’avenir nous le dira. Ce qui est certain, c’est que la société multi convictionnelle d’aujourd’hui attend notre réponse.
Gilles Mathorel