Année thérésienne | Homélie du Père Laurent Bodart pour le lancement de l’année dédiée à sainte Thérèse de Lisieux

Année thérésienne | Homélie du Père Laurent Bodart pour le lancement de l’année dédiée à sainte Thérèse de Lisieux

A l’occasion du lancement de l’année thérésienne, le père Laurent Bodart nous transmet son homélie.

L’homélie du Père Laurent Bodart

Aujourd’hui, le 21 janvier, nous fêtons sainte Agnès. Lorsqu’on travaille avec ou pour Thérèse, elle nous fait souvent signe, je n’ose pas dire toujours. Donc, aujourd’hui, sainte Agnès. Il y a 127 ans, en l’année 1896, en la fête de sainte Agnès, ou plutôt la veille, Thérèse remet à sa sœur Pauline qui est aussi devenue sa supérieure sous le nom de Mère Agnès, elle remet donc son récit autobiographique (connu sous le nom de Manuscrit A) qui lui avait été commandé quelques mois plus tôt, en février 1895, sans doute. Lorsque Thérèse reçoit cette demande, elle commence par hésiter : « Le jour où vous m’avez demandé de le faire, il me semblait que cela dissiperait mon cœur en l’occupant de lui-même » (A 2 r°). Mais, elle sentit par la suite que cela plaisait à Jésus dans la mesure où elle agissait par obéissance.

Ceci dit, un autre événement important a lieu au cours de la rédaction de ce manuscrit. Thérèse en fait mention à la fin. Nous sommes en juin 1895. Thérèse éprouve le profond désir de s’offrir en « victime d’holocauste à l’Amour Miséricordieux » (voir A 84 r°). Les termes employés font un peu peur. Mais Thérèse réagit à une spiritualité de l’époque qui consistait à s’offrir en « victime à la Justice divine… afin de détourner et d’attirer sur elles les châtiments réservés aux coupables ». A cette offrande qui lui semblait certes grande et généreuse, Thérèse préfère de beaucoup s’offrir à l’Amour Miséricordieux… « Ô mon Jésus, s’exclame-t-elle, que ce soit moi cette heureuse victime ; consumez votre holocauste par le feu de votre Divin Amour ! » La rédaction de l’autobiographie est marquée par ce désir et cette offrande d’elle-même. Si bien que dans la préface de son manuscrit, préface écrite, en tout bon écrivain qu’elle est, dans le courant ou à la fin de la rédaction, elle écrit ceci : « Je ne vais faire qu’une seule chose : Commencer à chanter ce que je dois redire éternellement ‘Les Miséricordes du Seigneur!!!’ » L’intention de son écriture est devenue claire.

Il y a donc une interférence évidente entre le travail de mémoire et de relecture de sa vie et cet acte d’offrande. On ne sait lequel de ces deux événements influence l’autre. Mais il est clair qu’ils se répondent. Voyant l’action de Dieu dans sa vie, remarquant cet Amour prévoyant qui lui a remis d’avance (voir A 38 v°), elle ne peut que vouloir s’en remettre entièrement et définitivement à cet Amour.

Dans cet élan qui la conduit et qui l’attire, elle en vient à se poser la question de sa vocation : comme répondre à un tel Amour ? C’est tout l’enjeu de son deuxième grand écrit (connu sous le nom de Manuscrit B). La question est lancinante. Où Dieu, Jésus, veut-il la conduire ? Ne peut-elle pas se satisfaire de ce qu’elle est : « carmélite, épouse et mère des âmes » (voir B 2 v°) ? Non, il lui faut plus et beaucoup plus. Elle ne peut se contenter d’être sainte à moitié. Il lui faut tout ! Et comme « L’Amour ne se paie que par l’Amour », elle en arrive, aidée par l’Écriture, en l’occurrence les chapitres 12 et 13 de la 1ère lettre de saint Paul aux Corinthiens, à cette conclusion : « Ma vocation c’est l’Amour !… Dans le cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour ! Ainsi je serai tout ! » ni plus ni moins. Formulation étonnante, voire mystérieuse… où la question de la mère semble enfin résolue ! On comprend que Marie, la sœur aînée et marraine de Thérèse, elle-même carmélite, fut saisie de stupeur à la lecture de ce grand poème de Thérèse. N’est-ce pas excessif ? A ce moment-là (nous sommes en septembre 1896, Thérèse a encore un an à vivre), la maladie s’est invitée dans le corps de Thérèse et d’épaisses ténèbres ont envahi son cœur. Voilà où Dieu la conduit. C’est le mystère de la Croix qui se profile, croix de l’Époux, croix des épousailles, croix glorieuse, certes mais aussi souffrante. La passion de Thérèse est l’enfouissement dans cet Amour éperdu. A l’image de son maître et de son Époux, elle sera conduite « vers sa perfection, par des souffrances » (voir He 2,10).

Le Manuscrit C, écrit patiemment et courageusement 4 mois avant sa mort, fait état de cette passion d’amour. Les ténèbres intérieures qui vont jusqu’à lui suggérer l’illusion de sa vocation, lui donneront au contraire l’occasion de se tenir à la table des pécheurs et d’y aimer Jésus au nom de tous, « d’y manger seule le pain de l’épreuve » pour eux tous (voir C 6 r°).

L’évangile de ce jour nous fait part de l’appel par Jésus de ses premiers disciples avec cette promesse de faire d’eux des pêcheurs d’hommes. Thérèse a entendu tôt cet appel. Sa conversion, qui remonte à Noël 1886, s’est traduite presqu’immédiatement par « un grand désir de travailler à la conversion des pécheurs » (A 45 v°). Au Carmel, elle aura à cœur d’instruire ses jeunes sœurs du noviciat et d’encourager deux frères prêtres avec lesquels on lui a demandé de correspondre. Elle termine alors son dernier manuscrit (le Manuscrit C) par la compréhension que Jésus lui a donnée de « cette parole des Cantiques : ‘Attirez-moi, nous courrons à l’odeur de vos parfums’. » Et elle commente : « il n’est donc pas même nécessaire de dire : ‘En m’attirant, attirez les âmes que j’aime!’ Cette simple parole ‘Attirez-moi’ suffit. Seigneur, je le comprends, lorsqu’une âme s’est laissé captiver par l’odeur enivrante de vos parfums, elle ne saurait courir seule, toutes les âmes qu’elle aime sont entraînées à sa suite ; cela se fait sans contrainte, sans effort, c’est une conséquence naturelle de son attraction vers vous. » (C 34)

Aujourd’hui encore, nous sommes les bénéficiaires de cette grâce. Thérèse s’est laissé consumer par le feu dévorant de l’Amour. Que tous ceux qui la prieront et la vénéreront durant cette année, se laissent entraîner à leur tour et attirer par l’odeur des parfums de l’Amour divin.

Père Laurent Bodart, 21.01.2023

Crédits photos & textes : archevêché de Malines-Bruxelles, Geert De Kerpel ©