Article de Julien Marteleur.
Durant le confinement, le photographe belge Gaël Turine a signé « May God Help Us » (« Que Dieu nous aide » en français, NDLR), un reportage sur l’église bruxelloise de Saint-Gilles, une des seules restées ouvertes durant la crise sanitaire. Située dans un quartier populaire de la capitale, l’édifice a servi de refuge à sa congrégation au cours de cette période marquée par l’incertitude. Entretien.
En Marche : Quand la crise sanitaire a démarré, avez-vous tout de suite eu envie de la documenter ?
Gaël Turine : Au début du confinement, j’ai d’abord travaillé sur une série de clichés intitulée « Breathe » (« Respire » en anglais, NDLR). Tous les jours, je sortais me balader avec mon smartphone et je photographiais un mur, un sac plastique… des objets ou des éléments qui, selon moi, montraient que quelque chose était en train de se fissurer, de se casser, où l’on pouvait déceler un signe de dysfonctionnement relatif à ce que notre société traversait. Mais il s’agissait plus d’une photographie de fiction, d’un projet artistique. Cela m’a permis de rester connecté avec le monde extérieur, mais cela a vite montré ses limites. C’est au cours d’une de ces promenades improvisées que j’ai atterri, presque par hasard, sur le Parvis de Saint-Gilles et que j’ai remarqué que la porte de l’église était ouverte. Je suis entré et ai rencontré l’abbé Michel Christiaens, qui m’a appris que contrairement à 95% des églises de Bruxelles, celle-ci restait accessible, tous les jours, de 8h à 19h. Je me suis alors demandé si la religion, les croyances pouvaient avoir une influence sur la façon dont on pouvait vivre cette crise du Covid. Je suis revenu le lendemain avec mon appareil photo et suis ensuite retourné une vingtaine de fois dans cette église durant deux mois, pour y documenter ce qui s’y passait.
EM: Cette église a ceci de particulier qu’elle tient un véritable rôle social dans un quartier fortement multiculturel.
GT: Elle a même joué un rôle de contrôle social, ce qui lui a justement permis de rester ouverte : avec une présence policière limitée et des rues quasi désertes, tout aurait pu être vandalisé ou volé dans cette église. Le contrôle social a été opéré par une présence permanente des fidèles dans l’église en période de confinement. L’activité y était d’ailleurs très intense, malgré le silence et le respect de la distanciation physique et des mesures de sécurité. Sur le parvis de Saint-Gilles, se trouve également l’Ilot, une asbl qui distribue entre autres des repas aux sans-abris et aux plus précarisés. De nombreuses personnes qui venaient chercher de l’aide à l’Ilot entraient également dans l’église. Certains venaient y chercher de l’apaisement, d’autres étaient simplement curieux. Mais tout s’est toujours déroulé dans la tolérance et le respect de l’autre.
EM: Au cours de ce reportage, vous êtes-vous entretenu avec les paroissiens ?
GT: Oui, j’ai rencontré des gens qui venaient prier parce qu’un de leur proche était gravement atteint du coronavirus. D’autres avaient vu leur père, leur sœur emportés par la maladie. Certains priaient pour tous les malades, ou simplement, demandaient à être eux-mêmes protégés du Covid. Mais il n’y avait pas de dimension « apocalyptique », je n’ai entendu personne me parler de châtiment divin. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le nombre de nationalités différentes qu’on retrouvait au sein d’un même lieu de réflexion, de prière : Portugais, Polonais, Belges, Roumains ou Congolais… Cette union était belle à voir, non seulement en tant que photographe, mais surtout en tant qu’être humain. Ce sont des images que je n’oublierai pas.
EM: Cette église vous a également servi de refuge durant cette période particulière ?
GT: Personnellement, j’avais besoin de sortir de chez moi et de trouver une « soupape de décompression ». Cet endroit m’a permis de trouver quelque chose à photographier, une histoire que j’avais envie de raconter. Bruxelles, c’est ma ville, je la connais très bien. Durant la crise, je ne reconnaissais plus son visage. Dans cette église, j’ai retrouvé une force et une intensité qui m’ont parues familières et qui m’ont apaisées.
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