Bruzz – Campagne de vaccination : Soeur Lucie passe en premier !

Sœur Lucie Danjou, 101 ans, accueille avec philosophie le soudain coup de projecteur : elle a été la toute première à se faire vacciner à Bruxelles. « Maintenant que le virus ne peut plus m’atteindre, c’est encore mieux. » A noter : la naissance de Danjou coïncide avec l’éradication de la grippe espagnole.

De nombreux résidents de la maison de soins et de repos Notre-Dame-de-Stockel à Woluwe-Saint-Pierre ont pleuré après avoir reçu leur première injection. « J’avais l’habitude de recevoir tellement de vaccins. Même enfant, contre les oreillons. » Le fait qu’elle ait être la toute première à Bruxelles à recevoir le vaccin contre le coronavirus ne la touche guère. « Pourquoi moi d’abord ? Ils n’ont pas pu trouver quelqu’un d’autre, sûrement ? » Elle hausse les épaules.

Rosette Dierickx nous confie que cette attitude pragmatique est typique d’elle. Dierickx est le directeur de la Congrégation Hospitalière du Sacré-Cœur, à laquelle Danjou appartient. « Dieu a créé le jour et Lucie l’a traversé. Elle ne rend pas la vie plus difficile qu’elle ne l’est. » Dierickx poursuit la conversation, Danjou n’entend plus bien. En raison de son âge avancé, elle ne se souvient également que de fragments du passé.

Elle n’est pas seulement la doyenne du Home Notre-Dame-de-Stockel , elle a également survécu à ses cinq sœurs et à son frère. Elle a partagé la plus grande partie de sa vie avec sa plus jeune sœur, qui l’a précédée dans l’ordre monastique. « C’était peu après elle, j’avais presque trente ans. Si j’avais attendu plus longtemps, j’aurais eu besoin de la permission du cardinal de Malines », dit-elle en riant. Mais elle s’est convertie à Dieu juste à temps. Danjou elle-même n’appellerait pas son entrée dans les ordres, une vocation. « Ce n’était pas un choix évident », dit-elle. Elle ne se souvient pas des détails, mais elle se rappelle que la transition d’une famille très catholique et sourcilleuse à une communauté monastique séculaire où les sœurs étaient autorisées à travailler, s’est faite sans heurts. « C’était comme se glisser dans une seconde famille », dit-elle.

Danjou a longtemps travaillé comme infirmière pour la Croix Jaune Blanche à Jette, et plus tard dans sa vie, elle a obtenu son diplôme de pédicure. Sa tâche favorite, elle sourit en y songeant. Elle aimait s’occuper des gens qui avaient des problèmes, qui étaient seuls, qui n’avaient pas beaucoup d’argent, des gens en marge de la société. « Pourquoi ? Parce qu’ils en avaient le plus besoin. Quand je prenais soin de leurs pieds, j’obtenais immédiatement ma récompense. J’ai vu à quel point cela les détendait et mon travail apaisait leurs inquiétudes. »

Le fait que les projecteurs se soient soudainement braqués sur elle à cause de la vaccination semble contredire  la vie modeste qu’elle a menée. La transition vers la maison de soins résidentiels a été aussi facile que son entrée dans les ordres, semble-t-il. Lorsque les places se sont libérées, elle a pu emménager avec sept autres nonnes ensemble. C’est comme si elle avait simplement emmené sa communauté avec elle au deuxième étage de Notre-Dame-de-Stokkel et qu’elle y avait poursuivi sa vie.


Photo Saskia Vanderstichele – Tous droits réservés

C’est peut-être pour cela que l’impact du confinement sur elle a été moindre. Danjou est restée dans une bulle très limitée, mais extrêmement familière. Et surtout : elle pouvait continuer à jouer au scrabble, son passe-temps favori. Ce qu’elle pense elle-même être le plus grand avantage du vaccin ? « Que le virus ne puisse plus m’atteindre, tant mieux. Enfant, j’étais souvent malade, j’ai passé deux ans à la maison, c’est peut-être ma revanche ? ».

Polio

Quatre-vingt-dix pour cent des résidents, à l’instar de Lucie Danjou, ont immédiatement accepté de se faire vacciner. « Ils faisaient souvent référence à la grippe espagnole et à la polio lorsqu’ils entendaient parler de l’existence d’un vaccin contre le coronavirus », explique la directrice Pascale De Koster. « Même s’ils ne sont pas assez âgés pour avoir connu la grippe espagnole, ils ont probablement été mis en garde contre cette maladie lorsqu’ils étaient enfants, car elle était encore présente dans l’esprit de leurs parents. Ils veulent absolument éviter la réplique de tels scénarios. »

Il est important de noter que Marc Veevaete, le médecin coordinateur de la maison de soins et de repos, a pleinement soutenu la vaccination. « Ce que dit le médecin a force de loi pour eux. Ils font confiance à ses conseils. » En effet, de nombreux habitants ne comprennent pas bien pourquoi le gouvernement ne rend pas la vaccination obligatoire tout de suite. Certains se rappellent comment les gens attrapaient la polio. Lorsqu’un vaccin a été mis au point contre cette maladie, il a immédiatement été rendu obligatoire. Ils sont convaincus qu’il vaut mieux se protéger que de guérir d’une maladie. Ils ne comprennent pas pourquoi il y a tant de débats sur les vaccinations. »

Bougie

De Koster, elle-même, a été immédiatement vaccinée. Elle n’a eu aucun effet secondaire, tout comme Lucie Danjou. Les habitants espèrent pouvoir à nouveau mener une vie normale grâce à la vaccination. « Ils craignent surtout la solitude. Ce n’est pas sans raison que, lors du premier confinement, De Koster a vu trop souvent comment les gens se laissaient aller à cause de l’isolement, qui pesait. « Ils ont glissé à cause d’un manque de contact plutôt que des symptômes de Covid. Ils mangeaient et buvaient moins, étaient moins stimulés par les activités, le moral baissait, ils devenaient plus apathiques. Ils ont perdu le sens de la vie. C’était comme regarder une bougie s’éteindre. » Dès qu’elle voyait quelqu’un perdre sa joie de vivre, elle essayait toujours d’organiser des visites de ses proches. « Heureusement, personne ici n’est mort seul. J’aurais trouvé ça vraiment horrible. »
Les masques buccaux, le gel pour les mains, la distance et les bulles resteront la règle pendant un certain temps, mais progressivement, les vaccinations permettent aux habitants d’entrevoir l’avenir. Bien que cela reste un regard prudent. L’assouplissement espéré des règles de visite a déjà été retardé. « Quelques résidents ont été testés positifs lors d’un test mensuel standard, mais personne n’est malade. Il s’agit probablement de vestiges d’anciennes infections », explique M. De Koster. « J’espère que nous pourrons nous détendre la semaine prochaine (cette semaine, ndlr) ».

Elle sera beaucoup plus rassurée lorsqu’un nombre suffisant de membres du personnel de santé seront vaccinés. « Cela va dans la bonne direction, nous sommes maintenant à 66 %. Les soixante-dix pour cent visés sont en vue », s’amuse De Koster. « Juste encore un peu de persévérance. » La vie normale reprend ses droits. « Traditionnellement, nous célébrons les anniversaires ici avec tous les résidents, ils vivent et interagissent vraiment ensemble ici. Cela manque aux résidents ».

09/3/2021- Traduction Anne Périer

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