« Passer de Babel à Pentecôte » : mgr Kockerols sur la migration

« Les Italiens en Europe et la mission chrétienne. Des racines qui ne se brisent pas mais qui s’étirent pour embrasser ce qu’elles rencontrent » : c’est le thème de la conférence des Missions catholiques italiennes en Europe qui a eu lieu à Rome du 9 au 12 novembre et auquel a participé, entre autres, les cardinaux Gualtiero Bassetti et Anders Arborelius, mgr Gian Carlo Perego et mgr Jean Kockerols ainsi que des témoins de divers pays européens.

Le 11 novembre, deux interventions sur le thème « Quelles communautés (italophones) pour la mission chrétienne aujourd’hui ? » ont été présentées. Une a été confiée à notre évêque, mgr Jean Kockerols, qui a également présidé la célébration eucharistique à la fin de la journée.

Extraits de son intervention:

J’aimerais aujourd’hui vous partage des expériences, ou plutôt l’expérience pastorale d’une ville bien précise, Bruxelles. Il s’agit bien d’un contexte particulier, avec dès lors des conclusions parfois comparables à d’autres contextes, parfois moins. Car les migrations sont aussi diverses que nos villes européennes et les approches pastorales de ces questions sont donc aussi très diverses.

Que représente Bruxelles ?

• La ville compte environ 1.2 million d’habitants (ce qui représente 10% du pays), sur 160 km². Aux yeux du monde, avec ses nombreuses mégapoles, c’est donc une ville de taille modeste.
• Elle a en plus comme spécificité d’être non seulement capitale de la Belgique, mais aussi le siège de plusieurs institutions internationales. Je pense bien sûr en premier lieu à l’Union Européenne, mais aussi à l’OTAN.
• Elle a connu des vagues successives d’immigration pour toutes sortes raisons économiques, politiques et autres. Il s’agit donc d’une ville multiculturelle, multilinguistique, multi-religieuse. Une ville plurielle.
• A titre d’exemple, une des communes de la Ville, Saint-Josse, est la plus petite commune du pays, la plus pauvre aussi : elle mesure 1km² mais elle compte parmi ses 27.000 habitants 160 nationalités différentes.
• Bruxelles est pourtant la ville la plus riche du pays, mais elle compte le plus de pauvres. Autrement dit, le contraste est violent entre les classes sociales.
• Sa dimension internationale se remarque par le fait qu’il n’y a actuellement plus que 25% d’habitants qui sont nés de parents belges.

Que représente l’Eglise catholique dans cette mosaïque, ce patchwork ?

Parmi les confessions chrétiennes, l’Eglise catholique est de loin la plus importante, de par l’histoire du pays. Jusqu’il y a 50 ans, c’était en effet la seule confession, d’où la construction d’une église, à chaque agrandissement de la ville, pour chaque nouveau quartier. Nous avons plus d’une centaine de paroisses – c’est autant qu’à Paris – avec une église tous les 1.600 m.
• Désormais, malgré l’Histoire, l’Eglise catholique est considérée à Bruxelles « sur le même pied » que les autres confessions, qu’elles soient chrétiennes ou non.
• La crédibilité de l’Eglise s’est aussi énormément amenuisée, en particulier depuis la crise des abus sexuels, dès 2010.

Le Vicariat de Bruxelles et sa pastorale des migrants

Le Vicariat de Bruxelles a développé depuis des décennies une politique d’accueil des catholiques immigrés très explicite. Nous avons en effet partagé depuis longtemps cette conviction de Erga migrantes caritas Christi que le respect du migrant passe par celle de sa langue maternelle, de sa culture, voire de son rite propre. À tant de déracinements (de la terre d’origine, de la famille, de la langue, etc.) aux-quels l’expatrié doit forcément faire face, il ne faudrait en effet pas que s’ajoute aussi celui du rite ou de l’identité religieuse du migrant. Dans les faits, cela a conduit à instituer pastoralement environ 35 communautés d’origine étrangère, utilisant une vingtaine langues différentes.
• Qu’est-ce en vérité que l’inculturation, l’intégration etc. ? Il n’existe pas de définitions claires. Cela ne facilite pas la détermination d’une politique d’ensemble. D’autant plus que les mutations sont très différentes selon les cultures. Il y a ainsi une grande différence entre Espagnols et Portugais, ces derniers ayant une bien plus forte propension à rester « entre soi ».
Le maintien d’un lien fort avec le pays d’origine et la famille restée « au pays » est presque toujours en tension avec l’enracinement progressif dans le pays d’adoption. Je note en particulier que:
          o Chaque pays, a ses dévotions populaires, en particulier sa procession mariale. A quelle procession est-ce que je participe ?
          o L’utilisation d’une langue commune à la maison. Le renoncement d’utiliser au quotidien la langue d’origine entraine en pastorale des effets pervers : on envoie les enfants en catéchèse portugaise ou vietnamienne moins pour connaître Jésus que pour apprendre à lire et parler en portugais ou en vietnamien !
         o Se marie-t-on avec quelqu’un de la culture de ses parents ou plutôt de celle du pays d’adoption ? La scolarisation des enfants entraine au fil du temps de plus en plus de mariages « mixtes » ! Quitte à retourner au pays pour la célébration.
• La conviction profonde est que la société et donc l’Eglise ont tout intérêt à grandir avec les apports de chaque culture.

Comment favoriser cet échange de dons ?

Comment favoriser cette « cross fertilisation » ? Comment éviter les îlots, les ghettos… :
• C’est ainsi que nous essayons de plus en plus de travailler par langue plutôt que par nationalité, même si la langue et la nation coïncident parfois p.ex. pour les Italiens, les Hongrois, les Polonais et d’autres pays de l’Europe de l’Est.
• Dans la mesure du possible (!), il est intéressant que deux (ou plus) communautés partagent le même lieu de culte.
Les célébrations communes avec toutes les communautés linguistiques d’un lieu sont aussi très importantes (l’entrée en Carême, la Semaine Sainte, Pentecôte etc.). Elles sont par définition multilingues. Elles permettent de se connaître, et de se savoir investis de la même mission.

La mission des communautés de langue italienne à Bruxelles

L’immigration italienne à Bruxelles est plurielle. Les immigrés des années d’après-guerre, qui venaient surtout du Sud de l’Italie, ne sont pas d’abord venus à Bruxelles. Mais nombreux sont ceux qui, progressivement y sont venus, notamment par les mariages ou par la retraite. Il y a eu ensuite la vague des nombreux fonctionnaires de l’UE. Et enfin, ces deux dernières décennies, des jeunes, bien formés, qui viennent chercher du travail chez nous. Ce sont donc des catégories très différentes, des attentes et des provenances très diversifiées.
• Globalement, je peux constater qu’il y a chez les Belgo-Italiens une force d’entraînement, une exigence pour une prise au sérieux de la foi. Cela se remarque autant dans certaines dévotions populaires (Padre Pio) que dans des nouveaux mouvements, comme l’Opus Dei, le Chemin Néo-catéchuménal ou encore les Equipes Notre-Dame.
Les fonctionnaires italiens jouent un rôle important dans l’animation spirituelles des milieux européens, p.ex. à la Chapel for Europe ou au Foyer catholique européen.
• Les Italiens à Bruxelles sont généralement d’enthousiastes Européens. Ils ont une conscience européenne, un sentiment d’appartenance à l’Europe. Il y a là un apport important du Sud de l’Europe à celle du Nord. Ils sont missionnaires d’abord en tant que chrétiens européens, faisant le pont entre les cultures.
• J’espère aussi, dans l’autre sens, qu’en vivant à Bruxelles, ils prennent conscience d’une Eglise moins cléricale, avec chez nous des laïcs assumant de larges responsabilités ecclésiales.

Pour conclure

• Les COE sont souvent témoins de la joie de croire.
L’Eglise doit témoigner de et par sa catholicité. Ce n’est pas d’abord un problème, c’est d’abord une grâce, une richesse, une force. Mais la catholicité, c’est aussi une mission, une exigence, un travail. C’est à cette condition qu’on peut vraiment parler de la sacramentalité de l’Eglise (LG1).
• En ce sens, la présence de tant de COE au sein de l’Eglise locale (dont les communautés italophones), sont en quelque sorte une évangélisation ad intra. Elles nous forcent à une catholicité plus significative. On doit passer chaque jour de Babel à Pentecôte.
• Mais également ad extra, ces COE sont pour tous les habitants de la cité, quelles que soient leurs convictions, un beau témoignage de foi. J’en suis très heureux.

+Jean Kockerols, évêque auxiliaire de Bruxelles

Le texte complet de l’intervention de mgr Kockerols: Migrantes Roma 11.11.2021