Débat | Nouveaux médias et enjeux pastoraux

Vendredi 27 novembre, face aux animateurs et animatrices en pastorale territoriale de Bruxelles, le père Nikolaas Sintobin a présenté un exposé et partagé son expérience lors d’une conférence Zoom sur le thème

« la place des ‘nouveaux’ médias dans nos activités pastorales :

Quels enjeux ecclésiaux, théologiques, pastoraux,

tant pour les acteurs pastoraux que pour les paroissiens et la société ? ».

 

Nikolaas Sintobin, jésuite flamand, a travaillé comme avocat, enseignant dans des collèges jésuites à Paris et à Anvers et comme accompagnateur spirituel. Il réside aujourd’hui à Amsterdam. Il s’est spécialisé dans la spiritualité ignatienne et travaille à sa diffusion dans les médias en général et dans le monde numérique en particulier.

Le père Sintobin nous a parlé de ses propres expériences personnelles qui lui ont ouvert les yeux et qui lui ont permis de rendre plus présent l’évangile dans le monde du numérique.

Il y a huit ans, une télé hollandaise protestante et évangélique lui a demandé de participer à deux saisons de télé-réalité. Il y avait 30 personnalités connues qui étaient présentes. Ils se sont tous retirés deux saisons de suite avec deux séries de personnes différentes dans un monastère le plus silencieux possible, sans téléphone, sans télé, c’était le silence complet.

Les personnes participantes n’étaient pas forcément catholiques. Et pourtant elles ont respecté de garder le silence et on fait des exercices individuels, spirituels avec un accompagnement personnalisé.

Cinq émissions de télé absolument formidables ont été produites. Elles étaient à la fois spirituelles mais aussi humoristiques. Et finalement chacune de ces personnalités a suivi un chemin spirituel.

Cela était le but de la chaîne évangéliste. Ce programme a eu un énorme succès et a été diffusé à une heure de grande écoute. Des milliers de téléspectateurs n’étaient pas forcément chrétiens. Mais en regardant ce programme, en suivant le parcours de leur héros, ils ont aussi chacun suivi leur propre chemin spirituel.

Pour le père Sintobin, il y a carrément eu un avant ce programme et un après. Il a compris qu’il fallait oser. Il faut oser faire des choses nouvelles. Il ne faut surtout pas avoir peur de notre culture d’aujourd’hui sur le plan spirituel. Il faut pouvoir briser les tabous.

Les animateurs ont réussi à toucher un public complètement nouveau. C’est d’ailleurs ce que le Pape François nous a conseillé. Il nous invite à aller vers les périphéries et c’est ce qu’ils ont fait. Des milliers de personnes ont été touchées et ont pu faire, en regardant le programme, leur propre cheminement spirituel.

A l’époque des jésuites étaient choqués et aujourd’hui ces mêmes jésuites lui demandent de faire des conférences.

Ces deux séries d’émissions ont permis d’ouvrir le monde protestant aux Pays-Bas à la spiritualité ignatienne.

Une seconde expérience qui lui a ouvert les yeux a eu lieu en cette période de coronavirus.

Juste avant le deuxième confinement, le père Sintobin a présidé une première messe par streaming pour la CVX européenne. Celle-ci s’est déroulé via Facebook Live. Cela lui a appris qu’il y une énorme différence selon les plateformes vidéo qu’on utilise. Par exemple, Facebook Live est très bien mais il n’y a pas d’interactions avec les gens. Ces derniers le voyaient mais lui ne les voyait pas. Mais par contre avec la plateforme Zoom, il y a une réelle interactivité à tel point qu’une communauté s’est construite grâce à ses liturgies. Toutes les semaines cette communauté se donnait rendez-vous. Les personnes participantes ont pu poser des questions, partager leur réflexion avec d’autres. Ses conférences sur la plateforme Zoom ont réuni jusqu’à 200 voire 300 personnes.

Cette expérience lui a fait comprendre que toutes les générations peuvent avoir accès à ces conférences. Il y avait des personnes d’une vingtaine, trentaine d’années et même des personnes de plus de 80 ans qui participaient à cette expérience spirituelle. Un des fidèles lui a même confié qu’il ressentait un lien bien plus fort que celui qu’il ressentait dans sa paroisse.

Ce sont donc deux expériences qui l’ont motivé à continuer d’ouvrir les yeux et qui l’ont encouragé à aller davantage dans cet environnement numérique.

Le père Sintobin nous propose trois aspects pour se lancer dans le numérique.

La sécularisation

La sécularisation a des conséquences sur tous les plans. De plus en plus de chrétiens, qu’ils vivent en ville ou à la campagne, vivent leur foi de façon très isolée.

Nous sentons très fortement qu’une des conséquences est la diminution de nos communautés chrétiennes qui font que ne nous sommes plus du tout en mesure de couvrir l’ensemble du territoire.

Nous vivons de plus en plus avec des gens de tous bords et de cultures religieuses très variées, avec toutes sortes de conséquences mais aussi toutes sortes de possibilités.

Le père Sintobin collabore avec une revue un peu particulière car c’est une revue assez profane. Mais il s’avère que la rédactrice en chef est venue le voir et lui a dit qu’elle est chrétienne. Elle souhaite lui proposer une initiative purement laïque. Elle lui a demandé s’il est d’accord de rédiger des articles en s’inspirant de sa tradition spirituelle afin que des chrétiens et non chrétiens puissent en profiter et se sentir à l’aise.

La majeure partie des gens chrétiens et non chrétiens ne comprennent plus notre jargon ignacien et plus largement notre jargon chrétien. En rédigeant ses articles, il a évité systématiquement tout ce jargon. Par exemple, il s’est permis de ne pas utiliser le mot « humilité » car pour lui ce mot est trop chargé. Cela n’a pas été un exercice facile. Il a donc utilisé des mots de vocabulaire contemporain pour que les gens comprennent et pour qu’on puisse toucher le plus de monde possible.

Le père Sintobin a constaté qu’il y a un développement d’un marché hyper commercial et professionnel sur le bien-être spirituel. Nous avons vraiment intérêt et c’est notre devoir de ne pas laisser envahir le chant spirituel qui nous était traditionnellement réservé. Si nous ne faisons pas attention, ce monde commercial aura d’autres buts, n’aura plus les mêmes initiatives et nous mettra de côté.

Aujourd’hui, pour construire la communauté chrétienne, il faut que nous investissions dans le marketing. Le numérique est devenu tellement important.

L’espace numérique est devenu très concurrentiel. Si vous tapez votre unité pastorale sur Google et que vous ne figurez pas dans les 10 premiers résultats, on ne vous trouve pas. Cela est du marketing et cela se paye. Ce n’est pas facile mais c’est tout à fait possible.

La transition numérique

La transition numérique est une réalité qu’on le veuille ou non, c’est une réalité dans tous les secteurs de la vie humaine et donc aussi de la vie spirituelle. Le numérique ne signifie pas « virtuel » car c’est une réalité. Aujourd’hui, tous les aspects de l’expérience humaine, du vivre-ensemble sont irriguées par cette dimension numérique.

En ces temps de confinement, le père Sintobin l’a constaté par des faits. Aux Pays-Bas, il y a beaucoup plus de monde qui assistent aux célébrations des messes par les médias et par le numérique. En présentiel, il y a quasi la moitié de ces personnes qui sont présentes.

Cette transition numérique, ce développement exponentiel de l’environnement numérique est une énorme opportunité parce que la plupart des contemporains n’entrent jamais dans une église. Ils ne vont jamais ouvrir la Bible.

Ce nouveau rapport au temps beaucoup plus dispersés qu’autrefois rend les formats traditionnels problématiques pour la plupart d’entre nous. Prendre une demi-heure de silence le matin et le soir ou à n’importe quel moment, pour la plupart des gens c’est inconcevable. On peut avoir plein de jugements aux propos du père Sintobin et pourtant c’est un fait : Internet nous permet de faire des propositions où les gens peuvent y accéder au moment de leur choix et où ils le souhaitent. Ces propositions sont également plus courtes.

Qu’on soit d’accord ou pas, c’est à nous de nous adapter et de faire des propositions qui correspondent à ce rapport au temps qui change très rapidement.

D’ailleurs, le père Sintobin vous conseille de ne plus dire « je suis nul(le) » mais « je suis en pleine transition numérique ».

L’inculturation et adaptation

Après avoir traversé la période de sécularisation et l’adaptation à la transition numérique, la conséquence est l’inculturation. Le devoir, l’appel de l’inculturation et l’adaptation.

Le père Sintobin nous a parlé d’un fait qui s’est déroulé il y a une dizaine d’années. Des évêques australiens avaient publié un document destiné aux prêtres australiens leur interdisant d’utiliser des tablettes pendant la messe. Il y avait beaucoup de prêtres qui utilisaient une tablette pour lire les textes de leurs homélies. Cependant pour les évêques, c’était indigne, irrespectueux par rapport à la liturgie.

Cette résistance, cette peur par rapport à ce changement est présente depuis longtemps.

Aujourd’hui, nous sommes donc une fois de plus devant le défi de la créativité et de la nouveauté permanente.

Le père Sintobin a déjà parlé de propositions mais il vous propose également de faire par exemple des petits clips vidéo, des podcasts, des retraites numériques. Même si au début, vous avez de la difficulté à vous adapter, ne vous inquiétez pas, l’apprentissage se fera si vous restez ouverts au numérique.

Le père Sintobin insiste également qu’il faut être créatif, toujours se réinventer et proposer des choses nouvelles.

Il faut oser se tromper et prendre des risques car on apprend de ses erreurs et on peut s’améliorer pour la suite. Il faut également veiller à faire tout cela dans de bonnes conditions avec un bon matériel (pour l’image et le son) et une bonne position si vous faites une célébration par Skype ou Zoom.

Un défi majeur pour notre communauté

Le père Sintobin est conscient que nous sommes devant un défi majeur, nous, unités pastorales, qui cherchons à remplir notre mission qui est de pleinement accueillir cette nouvelle grâce du numérique.

Les formats traditionnels gardent évidemment leur pertinence. Ils sont juste différents de ce qu’on peut vivre dans le numérique. Ne comparons pas ce qu’on ne peut pas comparer mais osons la créativité dans la continuité.

L’enjeux est tout simplement de prendre au sérieux notre mission, notre responsabilité apostolique. N’ayons pas peur du changement et accueillons cette grâce, osons la créativité.

N’oublions pas également de nous soutenir dans cette transition numérique !

Texte Elodie Bukasa

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