L‘église catholique de Bruxelles vous propose un texte de réflexion issu du travail du groupe liturgie emmené par l’abbé Gino Mattheeuws sur comment célébrer l’eucharistie en temps de corona virus.
« Les mesures sanitaires entraînent des contraintes inédites pour la célébration de l’Eucharistie. Il n’est pas toujours évident de veiller à un bon déroulement de celle-ci. Nous nous voyons privés d’éléments liturgiques qui sont à nos yeux essentiels : le maintien des distances, le chant de l’assemblée très réduit, le port du masque, l’absence de contacts physiques (se donner la main, se souhaiter la paix etc.), la communion partagée sous des formes très contraignantes, la difficulté à se rencontrer avant ou après.
Pour une liturgie sobre
Tout cela ne devrait néanmoins pas nous empêcher de célébrer de la façon la meilleure et la plus signifiante possible ! On pourrait même dire que certains membres de l’assemblée s’y retrouvent mieux que dans nos liturgies “d’avant”. De nombreux fidèles apprécient en effet une liturgie plus sobre, une liturgie où ne leur est pas demandé un peu de tout (écrire une intention, taper dans les mains, chanter des chants peu appropriés…) Pour ces personnes, la liturgie dominicale s’avère parfois un peu agitée, surtout lors d’Eucharisties au cours desquelles de nombreux intervenants s’agitent, plusieurs questions semblent devoir être tranchées avant ou même au cours de la célébration, des enfants courent dans tous les sens, et ne pas rester au drink après la messe peut éveiller un sentiment de culpabilité… De fait, aujourd’hui, pas mal de ces réalités disparaissent; certains y respirent mieux ! Une liturgie sobre évite parfois d’être distrait, tant auprès de celui qui préside ou de ceux qui y ont un rôle particulier, que des participants. De cette façon, on peut retourner vers le cœur de l’Eucharistie. Une célébration a priori amputée de certaines choses peut représenter un élément positif pour certains fidèles.
On peut dès lors se demander : pourquoi cela ne pourrait-il être le cas pour plus de fidèles ? Cette sobriété inattendue peut être salutaire pour un meilleur vécu de l’Eucharistie. On ne peut donc simplement affirmer que la liturgie en temps de corona serait un retour en arrière, mais voyons-y plutôt une opportunité pour un retour à l’essentiel. La façon de célébrer qui nous est imposée peut nous permettre de redécouvrir quelle est la force de la liturgie et plus spécialement celle de l’Eucharistie. La liturgie ne doit en réalité pas toujours être enjolivée, au contraire même : trop d’ajouts nous éloignent de son essence même. Une liturgie plus sobre ne signifie donc pas nécessairement une mauvaise liturgie !
Quelques remarques d’ordre général
Même dans l’époque troublée que nous vivons, il reste important de ne pas négliger différents éléments que la réforme liturgique opérée au Concile Vatican II a fortement soulignés. Les points qui suivent voudraient attirer l’attention sur certains d’entre eux.
Il importe tout d’abord que celui qui préside veille à ce que la célébration puisse se dérouler de la façon la plus fluide possible. Il convient de bien se mettre d’accord avec l’organiste, le chantre éventuel, le sacristain, les acolytes, les stewards… Dans le cadre d’une liturgie “amputée”, c’est d’autant plus nécessaire, car plus de choses encore se remarquent. Ces mises au point doivent permettre un déroulement aussi paisible que possible. Cet aspect paisible est peut-être la plus grande force qui émane des liturgies en temps de coronavirus. Il est salutaire autant pour les fidèles présents que pour celui qui préside. Tous ont ainsi leur attention portée vers la parole proclamée dans les lectures et l’homélie, vers la prière en commun, vers le rassemblement autour de l’autel. Ne peut-on d’ailleurs pas dire que tout cela concerne la participation active : que tous puissent se joindre de façon consciente et concernée à ce qui se déroule ? L’aspect paisible de la célébration y contribue en tous cas grandement.
Ceci nous amène assez logiquement à parler de l’importance du silence. La liturgie en temps de corona se prête particulièrement à intégrer un peu plus de silence dans la célébration. On pense par exemple à un moment de silence lors de la prière pénitentielle, après l’homélie et après la communion. Ces moments un peu plus longs que d’habitude induisent une atmosphère priante et permettent à chacun d’entrer en relation avec Celui qui nous rassemble : le Christ vivant. Le silence permet à Dieu lui-même de nous parler. Car c’est souvent à travers le silence qu’il nous adresse sa Parole. Il va de soi que ces moments de silence doivent être bien “menés” : ils ne peuvent s’éterniser… On pense aussi au silence après l’introduction du président “prions le Seigneur” au missel. Ces prières recevront d’autant plus de poids et seront mieux perçues comme collecta : celles adressées par toute l’assemblée à Dieu, même si elles sont formulées par celui qui préside.
Cette attention renouvelée au silence et au caractère paisible de la liturgie nous encourage aussi à ne pas la rendre bavarde et verbeuse. Il y a souvent trop de paroles dans nos célébrations : nous les remplissons d’un “mot” d’accueil, un autre qui tend à présenter les lectures, des litanies pénitentielles et une prière universelle interminables… Nous n’évitons pas toujours d’y ajouter une petite sauce moralisante. Lorsque les prises de parole se mettent quelque peu à “faire régime”, la parole du Christ peut d’autant mieux résonner. Le risque n’est pas inexistant de détruire cette parole par du bavardage au cours duquel nous nous mettons au centre. Celui qui préside est appelé à diriger nos cœurs vers le Christ : s’il retient sa propre parole, celle du Christ trouvera vraiment sa place. Par ailleurs, il y a souvent l’envie d’expliquer le geste liturgique, dans un effort, certes louable, de catéchèse. Mais dans une bonne liturgie, les symboles doivent parler d’eux-mêmes et ne doivent donc pas être expliqués. Le symbole qui requiert une explication est en quelque sorte un mauvais symbole. En d’autres termes, l’Eucharistie en temps de coronavirus est une excellente opportunité pour faire l’économie de certaines prises de parole.
Afin d’endiguer cet éventuel flux de paroles, l’orgue peut trouver une place importante dans la liturgie. Qui sait, le temps du coronavirus est l’occasion d’accorder à l’organiste plus d’espace. Il existe un trésor inépuisable de superbes musiques liturgiques pour l’orgue. Il est grand temps que nous puissions y puiser. Cette musique élève l’âme et contribue à cette entrée en communion avec le Christ. Etre “réduit” à écouter, au lieu de devoir chanter, peut être salutaire et apporter la paix du coeur. C’est une forme de prière. Ecouter l’orgue peut donc aussi, d’une certaine façon, signifier une participation active à la liturgie. Et lorsqu’il n’y a pas d’orgue ou d’organiste, il y actuellement facilement moyen de faire écouter de la belle musique, par exemple via un smartphone et bluetooth streaming. La qualité en est devenue si bonne qu’elle est parfaitement utilisable dans des assemblées d’Eglise, certainement lorsqu’elles sont de taille modeste. On peut aussi imaginer faire écouter un morceau spécialement composé sur base des lectures du dimanche, en faisant dans l’homélie le lien entre les deux. Les possibilités sont multiples.
La musique fait partie du Beau. Ce chemin vers la beauté nous conduit depuis toujours vers Dieu. La liturgie elle-même se veut belle. La façon avec laquelle celui qui préside pose ses gestes, ce qu’on appelle l’ars celebrandi, peut aider les croyants à se rapprocher de Dieu. La différence est grande entre des gestes faits sans attention, de façon brouillonne, et d’autres faits de façon soignée, “habitée”. Il en va de même pour le soin que nous portons à la propreté du bâtiment d’église, à l’aménagement du choeur de l’église, à la beauté et la propreté des vêtements liturgiques, à l’état des missels et lectionnaires, les vases sacrés, le linge, les fleurs, les cierges… Tout cela est d’importance. Etre invité à se joindre à une belle table est réjouissant ! C’est un témoignage de l’importance accordée par celui qui reçoit. C’est donc une aide précieuse pour nous aider à vivre plus intensément la liturgie.
Quelques remarques d’ordre plus pratique
- Le chantre doit être vu de l’assemblée, il se place donc de préférence devant elle.
- On sera, en temps de coronavirus, d’autant plus attentif à choisir des lecteurs avec une bonne diction, qui comprennent ce qu’ils lisent.
- On prendra le temps de réfléchir à la bonne disposition des chaises. Soit on enlève un certain nombre d’entre elles et on place les autres de façon dispersée dans l’église, en permettant aux personnes vivant en “bulle” de rester proches. Soit on ne bouge aucune chaise, mais on les marque toutes de façon bien visible, de sorte que les fidèles sachent aisément où ils peuvent aller se placer.
- Les stewards à l’accueil, à la communion et à la sortie ont un rôle important. Ils ne sont pas appelés à devenir gendarmes et seront attentifs à accueillir avec le sourire.
- Il est préférable pour tous que les églises se remplissent d’abord par l’avant, au pied de l’autel.
- Une liturgie sobre peut bien faire comprendre, symboliquement, que c’est assemblée entière qui est sujet, tout en étant présidée par un seul. Selon l’adage de Louis-Marie Chauvet ‘Tous célèbrent, un seul préside’. Cela peut p.ex. être signifié lorsqu’à certains moments, celui qui préside se place dans la même direction que toute l’assemblée, en se tournant avec elle vers la croix ou le chœur, lors de la prière pénitentielle, la prière d’ouverture, le Notre Père, la prière après la communion. Il ne s’agit pas de retourner à l’époque pré-conciliaire, mais de contribuer à signifier l’appartenance de celui qui préside au cœur de l’assemblée. C’est au nom de celle-ci qu’il s’adresse à Dieu.
- Une procession avec l’évangéliaire est indiquée. Elle focalise l’attention sur le Christ qui se rend présent par sa Parole.
- Il va de soi que pour ces célébrations, comme d’ailleurs en toutes circonstances, l’homélie doit être particulièrement soignée, ce qui implique qu’elle soit préparée et pas trop longue (8 minutes est une bonne durée !)
- Cela vaut la peine de personnaliser quelque peu la prière universelle.
- Si l’utilisation d’un gel hydroalcoolique est requise, e.a. lors de la communion, il n’est par contre pas très judicieux de le laisser sur l’autel : il trouvera mieux sa place sur la crédence ou ailleurs.
- Il vaut mieux recouvrir tant la patène que le calice pendant la prière eucharistique.
- On rappellera que la position normale du croyant dans la liturgie dominicale est la position debout. En certains lieux, les fidèles ont la propension à rester assis pendant presque toute la célébration : c’est
- Le geste de paix mérite aussi toute notre attention : il est bon d’inviter les fidèles à se saluer de loin par un geste de la main, un regard plus soutenu. Il n’est pas rare d’entendre que ce geste a pris plus de sens ces derniers temps.
- On s’avance pour communier. Mais dans certaines circonstances, il se peut que le prêtre porte la communion à chacun. De toute façon, on se souviendra que c’est le Christ qui veut rejoindre chacun d’entre vous. Ce moment se vit donc dans un intense recueillement.
- A la fin de la célébration, il vaut mieux que le célébrant ne s’enfuie pas, mais qu’il puisse saluer les fidèles, même à distance, et rester à l’écoute des uns et des autres.
- Dans certaines assemblées, plus modestes, il n’est pas exclu de laisser à ceux qui le désirent l’occasion de partager quelque chose de plus personnel en début ou en fin de célébration, à confier à la prière de l’assemblée.
- Une certaine liberté existe pour aménager la liturgie, mais cela se fera avec le bon discernement. La liturgie est en effet une construction avec sa cohérence propre, que l’on change comme on en a envie. Il nous faut avoir une bonne intelligence de la liturgie. C’est à cette condition-là que l’on peut faire preuve de créativité. Par comparaison : l’art culinaire implique que l’on connaisse les techniques de base.
Pour conclure
Ces quelques notes se veulent être une amorce. Elles ont surtout pour objectif de faire comprendre que la liturgie en temps de coronavirus offre certaines opportunités, autant pour les fidèles présents que pour celui qui préside. Dans bien des cas, elle nous aide à entrer plus avant dans le mystère de l’Eucharistie, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Et lorsque tout redeviendra bientôt (?) “normal”, espérons que nos célébrations se vivront avec encore plus d’intensité et nous rendent conscients que nous y rencontrons en vérité le Christ ressuscité.
Gino Mattheeuws et les membres du groupe de travail (bilingue) “Liturgie” au Vicariat de Bruxelles.
Accéder au texte dans sa version PDF ici.
Photos @ diocèse de Reims et Manuel Morre