Le monde de l’économie et de la finance n’inspire pas confiance au citoyen aujourd’hui. Depuis la crise financière de 2008 et le sauvetage des banques par les États, la dette publique s’est considérablement creusée et les citoyens, qui s’estiment souvent déjà lourdement imposés, ont la nette impression de devoir supporter les erreurs d’acteurs financiers peu scrupuleux. Les scandales financiers récents, en révélant les privilèges dont bénéficient certaines entreprises et particuliers, renforcent le sentiment que ceux qui ont les épaules les plus larges n’assument pas forcément leur part. Et que les intentions des autorités politiques ne s’orientent pas vers plus de fermeté à ce niveau.
Justice et Paix, à travers son étude « Pour plus de justice fiscale » souhaite faire la lumière sur ce sujet complexe de la fiscalité et formuler des recommandations aux décideurs politiques pour plus de justice fiscale.
Et d’abord, à quoi sert l’impôt ?
Son premier rôle est financier. Il procure des recettes qui permettent de financer les dépenses publiques de l’État.
En Belgique, la sécurité sociale (pensions, allocations-maladie et de chômage, etc.) constitue le poste le plus important des dépenses publiques (51%). Le financement des services généraux des administrations publiques forme le deuxième poste (15%). Il inclut notamment le fonctionnement des institutions (parlements, gouvernements, administrations etc.), l’aide extérieure et les opérations liées à la dette publique. Les postes suivants sont les affaires économiques (13%, transport, soutien à l’économie etc.), l’enseignement (11%) et la défense (5%).
La Belgique est proportionnellement le quatrième pays le plus dépensier en Europe : les dépenses publiques y atteignant 55% du PIB, ce qui est plus que la moyenne européenne (46%). Une des raisons ? Le système belge fournit davantage de biens publics que les autres pays d’Europe – notamment en termes de sécurité sociale.
Selon la Commission Justice et Paix, la priorité des dépenses publiques est d’une part d’assurer le financement des biens et services que le marché n’est pas à même de fournir efficacement ou équitablement, et d’autre part de garantir l’accès des plus précarisés au marché, ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui quand près de 15% de la population de la Belgique vit sous le seuil de pauvreté en 2016.
L’impôt remplit également trois autres rôles qu’on a parfois tendance à oublier. Un rôle social : redistribuer les revenus entre riches et pauvres, bien portants et malades, travailleurs et chercheurs d’emploi, etc. Un rôle économique : orienter les choix des citoyens et des entreprises vers des objectifs désirés (l’emploi en réduisant les cotisations sociales des moins qualifiés, la santé en taxant les cigarettes, l’environnement en subventionnant les entreprises vertes, etc.). Un rôle démocratique : en incluant les citoyens dans le processus de financement des biens publics, il oblige le gouvernement à leur rendre des comptes.
Remplir simultanément ces différents rôles est le défi de l’impôt. Il appelle des arbitrages entre des options parfois opposées, et donc des choix politiques qui ont tout intérêt à reposer sur des fondements solides, notamment en termes de valeurs, s’ils veulent obtenir l’adhésion des citoyens.
L’impôt, c’est quoi ?
Au sens large, les recettes de l’État incluent les impôts directs – principalement l’Impôt sur le revenu des Personnes Physiques (IPP) et l’Impôt sur le revenu des Sociétés (Isoc) – qui, en 2014, assuraient respectivement 27% et 7% des recettes fiscales et parafiscales de la Belgique, les impôts indirects – essentiellement la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et les accises, des impôts sur la consommation – qui, ensemble, font 30% des recettes, et les cotisations sociales – payées par les employeurs et les travailleurs proportionnellement à leur coût salarial et leur revenu, et destinées d’abord au financement de la sécurité sociale – qui font 35% des recettes. Comparée à la moyenne européenne, une grande part des recettes belges repose sur les cotisations sociales et l’IPP.
La répartition des recettes publiques, et donc des dépenses publiques, entre ces différents impôts est au cœur du débat fiscal, dans lequel interviennent différents acteurs aux poids inégaux : travailleurs qui craignent pour leur emploi, multinationales prêtes à délocaliser leurs activités et leurs centres financiers, syndicats, partis politiques, organisations non gouvernementales…
Ces poids inégaux se manifestent notamment par les réductions et exemptions fiscales qu’obtiennent certains groupes. En 2011, leur coût pour l’impôt des sociétés s’élevait à près de 16 milliards d’euros[1], dont 6,16 milliards pour les intérêts notionnels[2].
L’évasion fiscale
L’évasion fiscale, qui concerne tant les sociétés que les particuliers, relève à la fois de l’optimisation fiscale et de la fraude fiscale.
L’évasion fiscale peut être qualifiée comme « l’ensemble des comportements du contribuable qui visent à réduire le montant des prélèvements dont il doit normalement s’acquitter. S’il a recours à des moyens légaux, l’évasion entre alors dans la catégorie de l’optimisation fiscale. A l’inverse, s’il s’appuie sur des techniques illégales ou dissimule la portée véritable de ses opérations, l’évasion s’apparentera à la fraude fiscale. »
Qu’est-ce qu’un bon impôt ?
Agir en vue du « bien commun » est selon la Commission Justice et Paix un objectif et un principe essentiel pour concevoir un bon impôt. Le bien commun peut être défini comme « l’ensemble des conditions sociales permettant à une personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement »[4]. Ce concept permet de discerner le caractère moral ou non de l’organisation d’une société, y compris dans son système fiscal. C’est sur base de ce principe que la Commission Justice et Paix considère comme juste un système fiscal qui fait reposer la plus grande partie de la charge fiscale sur les contribuables dont les épaules sont les plus larges.
De plus, un bon impôt doit remplir certains critères. Il doit être équitable, efficace, régulateur, démocratique et conforme au principe de subsidiarité[5]. Pour Justice et Paix, la fiscalité doit aussi respecter les principes d’équité verticale, et ainsi être progressive et dessinée d’une manière qui privilégie les plus précarisés, et d’équité horizontale, qui privilégie le revenu global comme signe de capacité contributive.
Quelle justice fiscale ?
Atteindre une plus grande justice fiscale demande une réforme du système de taxation tant au niveau des citoyens que des sociétés. Les recommandations suivantes se veulent moralement soutenables, socialement équitables, motivantes pour les contribuables et compatibles avec les équilibres des entreprises et des pouvoirs publics.
- Une justice fiscale pour les citoyens
La Commission Justice et Paix soutient que les contribuables de même capacité contributive, c’est-à-dire de même revenu global (la somme des différents revenus d’une personne), doivent contribuer de même aux recettes publiques de la Belgique. Or, dans le système actuel, les revenus du capital et, dans une moindre mesure, les revenus immobiliers sont favorisés par rapport aux revenus du travail. Il s’agit d’arriver, à terme, à une réelle globalisation des revenus c’est-à-dire à inclure dans la base imposable les revenus de toute origine – revenus professionnels, immobiliers, du capital et de solidarité.
Dès lors, il est nécessaire que les revenus qui constituent la base imposable soient correctement évalués et que cette base imposable inclue effectivement tous les revenus y compris les revenus générés à l’étranger, tout en évitant les doubles taxations qui seraient injustes. Ensuite, au départ de cette base imposable, un système équitable et simple doit être mis en place.
En parallèle, il est essentiel de procéder à une sensibilisation du citoyen afin qu’il exerce un contrôle démocratique sur l’utilisation de ses contributions et prenne conscience qu’elles sont sa participation au coût du bien commun de l’ensemble de la société.
- Une justice fiscale pour les sociétés
La Commission Justice et Paix recommande qu’il y ait une révision des déductions fiscales dont bénéficient les entreprises en Belgique, et ce principalement en ce qui concerne les intérêts notionnels. Elle considère que les déductions fiscales ne peuvent se justifier que si elles visent le bien commun via l’écologie, l’emploi, la recherche et le développement, etc.
Dans un système fiscal juste la plus grande partie de la charge fiscale doit reposer sur les contribuables qui en ont le plus les moyens. Dans cette perspective, la Commission Justice et Paix propose de soumettre les institutions financières à une imposition supplémentaire. Toutefois, une contribution juste et efficace des sociétés ne peut être déterminée sans une coordination des régimes fiscaux entre les différents États afin d’éviter les stratégies d’évasion fiscale.
La Commission Justice et Paix encourage les différentes initiatives prises par l’Union Européenne et l’OCDE en matière d’échange automatique de données fiscales sur les entreprises car il s’agit là d’un moyen efficace de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Des acteurs conscients
Améliorer le système fiscal actuel est un ouvrage qui sera sans cesse à remettre sur le métier en fonction de l’évolution des contextes.
La coordination internationale est essentielle, particulièrement en ce qui concerne l’imposition des revenus des sociétés et de l’épargne. Une réelle volonté politique guidée par la poursuite du bien commun doit assumer ces choix. Pour que l’amélioration des lois et des réglementations porte ses fruits, il est indispensable que les citoyens soutiennent ceux et celles qui prônent les mesures politiques adéquates. Il est également nécessaire qu’ils aient conscience du rôle positif qu’ils jouent dans la société : en s’acquittant de l’impôt, ils contribuent au bien de l’ensemble de la société comme à leur bien propre.
Il s’agit d’un défi important qui concerne un changement de mentalité, auquel tous doivent contribuer. Un défi à relever, si nous voulons un monde plus juste.
Géraldine Duquenne
Responsable animation et Amérique latine
[1] Service Public Fédéral Finances Belgique, 2013, Inventaire 2012 des exonérations, abattements et réductions qui influencent les recettes de l’Etat, Bulletin de Documentation du SPF Finances, 73ème année, n° 3, 3ème trimestre 2013.
[2] Le but initial de ce régime était de réduire l’avantage d’un financement par emprunt, auparavant plus avantageux car les intérêts étaient déductibles, que par fonds propres. Et d’ainsi attirer des entreprises et donc créer de l’emploi. Dans les faits, ce système a représenté une perte fiscale importante et n’a pas engendré un impact positif sur la croissance ou l’emploi.
[3] Conseil des prélèvements obligatoires, 2007, « La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle », disponible sur http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/074000186.pdf
[4] Jean XXIII, 1961, lettre encyclique Mater et Magistra
[5] Le principe de subsidiarité dit qu’une compétence (par exemple, en matière fiscale, déterminer la base d’un impôt) doit être assurée par le niveau de pouvoir le plus proche du citoyen sauf si un niveau de pouvoir plus élevé est capable de l’assumer plus efficacement.