L’Eglise durant et après la crise du coronavirus

Chaque année, les Évêques de notre pays organisent une session d’étude de deux jours en janvier. Elle s’est déroulée différemment cette année, suite à la pandémie de coronavirus. Encadré de strictes mesures de sécurité, un programme court composé de deux réunions a été organisé sur deux journées.

Numérisation : opportunités et défis

La première journée a été consacrée à la révolution numérique désormais en plein essor. Emmanuel Tourpe a donné le coup d’envoi. Docteur en philosophie, professeur et spécialiste de longue date des médias, il est actuellement directeur de la programmation et directeur adjoint des programmes de la chaine Arte. Depuis Strasbourg, il a donné une téléconférence fascinante sur la signification et l’apport crucial de la révolution numérique pour nos sociétés, sur les opportunités et les écueils pour l’Eglise catholique.

Son hypothèse de base est que la numérisation est comparable en termes d’impact, aux révolutions provoquées par Copernic, Darwin et Freud. Selon lui : ‘Il s’agit d’un changement de paradigme : la nature de l’homme est liée à sa relation, à l’information et à la communication. La connexion généralisée transforme radicalement notre environnement physique ainsi que les sociétés. On évolue désormais au sein d’un océan de données. Le digital n’est pas une somme de technologies mais une modification centrale de l’humain et de l’être en société. De moyens de stockage et de transmission, les technologies ont évolué pour devenir des moyens de traitement de l’information. On y vit un décentrement par les machines. Les organismes informationnels deviennent les éléments intégrés d’une « infosphère » qui enveloppe tout. Après la préhistoire (sans écriture) et l’histoire (avec écriture), nous sommes passés dans ‘l’hyper-histoire’ (digitalisation). 

Au cours de son exposé et de la discussion avec les Évêques, Emmanuel Tourpe a insisté sur la diffusion rapide de l’Evangile par les premiers chrétiens dans une grande partie du monde connu d’alors, grâce à l’organisation de l’Empire romain et à la koinè ( la langue commune). Aujourd’hui, le numérique peut être comparé à cette langue et cette structure commune. Si l’Eglise veut saisir cette opportunité et en éviter les dangers, elle doit s’adapter, apprendre à penser et à agir aussi de manière numérique.

Ceci bien sûr, en respectant la vie privée et une législation de plus en plus stricte dans ce domaine. Il n’y a pas de recettes toutes faites. Des tâtonnements, des succès et des échecs seront un passage obligé pour y voir plus clair. Emmanuel Tourpe souligne que tout au long de l’histoire, l’Eglise a toujours usé des moyens à sa disposition pour diffuser son message. Aujourd’hui, en plus des contacts personnels et autres plateformes de communication, le numérique est devenu partie intégrante de cette diffusion.

Après la discussion avec les Évêques, un autre temps fut consacré à la présentation d’un projet de plan de stratégie commun, élaboré sur base des réponses à un large éventail de questions posées aux diocèses belges, au Secrétariat de la Conférence des Évêques et au Centre Interdiocésain. Ce plan de stratégie vise une réponse commune et prospective aux besoins concrets des différents niveaux de l’Église. Entre autres : l’accès et l’usage opportun des données en vue d’initiatives et d’activités ; faciliter des travaux de recherche ; la création d’opportunités de dialogue et de collaboration plus nombreuses ; le développement de nouveaux leviers pour l’annonce de l’Évangile. En concertation avec toutes les parties concernées, on veut parvenir à une large gamme d’applications conviviales. On prévoit aussi à long terme, la possibilité de services supplémentaires que l’on ne peut pas encore prévoir aujourd’hui. Les responsables des diocèses seront à nouveau consultés sur cette question dans les prochains mois.

Être Eglise aujourd’hui et demain

Au cours des deux temps de réunion du deuxième jour, les Évêques se sont penchés sur notre Église pendant et après la pandémie de coronavirus. Les Professeurs Arnaud Join-Lambert (UCL) et Guido Vanheeswijck (U Anvers et KU Leuven) étaient invités à introduire le sujet.

Le théologien Arnaud Join-Lambert est parti du fait que le confinement a mis en veilleuse nombre d’activités de l’Eglise. On a aussi beaucoup parlé d’une situation inédite, de la souffrance et de la détresse de tant de personnes, dont des responsables pastoraux. Mais en même temps, ces mois spéciaux ont vu jaillir des trésors d’inventivité. Selon lui, le confinement a surtout démontré la difficulté  d’atteindre tous les membres des communautés chrétiennes.

Le Professeur Join-Lambert a ensuite analysé en détail l’impact du confinement sur la liturgie, la diaconie et l’annonce. Nous nous référons à ses deux publications récentes : Leçons du confinement pour l’Eglise, Etudes 2020/10, p 79 à 90 et Les liturgies domestiques en temps de confinement. Une enquête pour orienter la pastorale liturgique post-covid-19 ; La Maison-Dieu 302, 2020/4, pp. 165-188.

Pour la période après le Covid-19, le Professeur entrevoit trois dynamiques possibles. 1) Rétrotopie (le contraire de l’utopie), dans laquelle l’image du ‘petit reste’ prédomine. 2) La réparation (‘Réparer l’Église’, selon le titre d’un récent dossier dans La Croix), dans lequel la pensée et l’action créatives s’inscrivent dans le cadre existant. 3) L’innovation : se réinventer à partir de ses propres sources. Ce faisant, on laisse la place à l’imagination pour évoluer hors du cadre connu. Voir par exemple dans ce contexte, les appels fréquents du Pape François à oser avoir des rêves. Le Professeur Join-Lambert conclut sur les nombreuses idées, initiatives, impasses, méthodes dépassées et prometteuses, et surtout l’explosion de théories et de pratiques, notamment numériques, qu’a engendrés la pandémie. « Le temps semble mûr, dit-il, pour un synode national ou un concile ».

Le philosophe Guido Van Heeswijck a également souligné dans son exposé que le coronavirus nous oblige à regarder les choses en face : nous ne maitrisons pas tout. Certains disent : ‘La science aura une réponse’. Une autre réaction est : ‘Nous devons vivre en gardant conscience de notre vulnérabilité, en restant sensibles au tragique de la vie’. Reconnaître sa vulnérabilité est important et invite à la solidarité, souligne G. Van Heeswijck. Mais ce n’est pas la réponse complète du chrétien : le chrétien attend finalement que le salut vienne d’ailleurs, du Tout Autre, de Dieu tel que Jésus nous l’a fait connaître. Nous entendons peu cette réponse chrétienne de nos jours. Mais restent la faim spirituelle et le désir d’accomplissement (fullness).

Comment rester proches des autres en cette période « post-catholique ». Le Professeur Van Heeswijck préconise en tout cas de poursuivre le dialogue. Et ce en allant au cœur de notre foi, ensemble et non chacun de son côté, en s’exprimant ou en se taisant comme il convient au mieux, en s’opposant à la polarisation et en prônant la douceur, en investissant pleinement dans la communication et donc certainement aussi dans la numérisation pour transmettre le message. 

Après ces introductions et ces échanges, les Évêques ont discuté des résultats de l’enquête lancée à l’automne et invitant les fidèles et les organisations à préciser leur vision de la crise actuelle du coronavirus et la réponse qu’il convient d’y apporter. Il ressort des réponses que de nombreux chrétiens considèrent cette crise comme un kairos, un ‘moment de vérité’ qui met en lumière les forces, les faiblesses et les tensions, non seulement de notre Église, mais aussi de notre société. Un résumé détaillé des réponses est disponible sur Kerknet et Cathobel. Les Évêques se sont engagés sur cette base, à poursuivre le travail dans leur diocèse. Le communiqué de presse, publié le 28 janvier : ‘Soyons des anticorps contre le virus de l’indifférence’ sur Cathobel, contient toutes les informations.  

Célébrer le Mercredi des Cendres

Lors d’une dernière discussion, les Évêques se sont penchés sur la célébration du Mercredi des Cendres en confinement. Ils ont convenu de proposer des célébrations dans un grand nombre de lieux dans chaque diocèse. Le groupe sera limité à 15 personnes maximum dans le respect des mesures gouvernementales. Une telle célébration peut être répétée plusieurs fois. Certains diocèses prévoient des célébrations supplémentaires les jours qui suivront le Mercredi des Cendres. Il sera également possible de recevoir les cendres sans contact physique après la célébration ou à un moment annoncé à l’avance. Nos Évêques nous encouragent à la créativité pour faire du Carême un temps fort, même dans les circonstances exceptionnelles actuelles.

Geert De Kerpel