Les Martyrs d’Algérie

Le 2 juin 1996, étaient célébrées, en la basilique Notre-Dame d’Afrique à Alger, les funérailles du cardinal Léon-Étienne Duval et des sept moines de Tibhirine assassinés quelques mois plus tôt. La vie de ces derniers avait été une réalisation du rêve du cardinal : une Algérie où Algériens et Français, musulmans et chrétiens pourraient vivre ensemble, comme des frères.

Dans une Algérie où, après l’indépendance, toute forme de prosélytisme religieux était interdite, l’évangélisation chrétienne était réduite à son essentiel : manifester dans la vie de tous les jours le message de l’Évangile à travers l’amitié, le partage et un ensemble de services mutuels. La mort brutale des moines de Tibhirine semblait, pour le cardinal Duval, la fin de son rêve. Elle en était en réalité une réalisation.

Une petite Église solidaire

Dans les dernières années du XXe siècle, quelques décennies après l’indépendance, l’Église d’Algérie était petite et fragile mais bien vivante. Si l’on ne comptait pas les chrétiens étrangers (diplomates et hommes d’affaire) et ceux de l’Afrique sub-saharienne (étudiants pour la plupart) ainsi que les missionnaires, elle se réduisait à une poignée de fidèles.  Elle se sentait cependant responsable et solidaire de tous les Algériens – une trentaine de millions.

Lorsque les militaires algériens mirent fin au processus électoral en 2012, s’ouvrit pour l’Algérie une guerre civile qui fit plus de 200 000 victimes. Cette violence aveugle toucha toutes les classes de la société, mais en particulier les journalistes, les professeurs, les étrangers et un grand nombre d’imans qui s’opposaient à cette violence. Les 19 martyrs chrétiens béatifiés à Oran le 8 décembre 2018 sont de ce nombre. Pierre Claverie et ses 18 compagnons vivaient au milieu de ce peuple dont ils partageaient les peines et les aspirations, et avec lequel ils avaient établi des liens d’amitié et de respect mutuel.

Des vies données

Il est significatif que presque tous furent tués à l’endroit même où ils vivaient et œuvraient pour et avec leurs frères et sœurs d’Algérie. Pierre Claverie est tué à la porte de son évêché, en compagnie d’un algérien. Frère Henri Vergès et sœur Paul-Hélène Saint-Raymond sont tués dans la bibliothèque du diocèse d’Alger fréquentée par un millier de jeunes du quartier populaire de la Casbah.

Les quatre Missionnaires d’Afrique de Tizi-Ouzou sont morts dans leur résidence au sein du quartier où ils œuvraient. Toutes les autres victimes tombèrent sous les balles allant à la messe ou en revenant, dans les quartiers pauvres où elles étaient au service de tous.

Dans la plupart des cas, les circonstances de leur mort sont et resteront confuses et incertaines. En les béatifiant comme « martyrs », l’Église ne se prononce aucunement sur ces questions qui restent confiées, au moins en certains cas, à des enquêtes judiciaires. Elle affirme simplement, et proclame hautement, qu’ils ont été par leur vie des témoins (c’est-à-dire des martyrs) de l’Évangile de Jésus-Christ. Leur mort a été la conséquence du don qu’ils avaient fait d’eux-mêmes au Christ et au peuple algérien.

Dans le cas des moines de Tibhirine, arrachés de leur monastère dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, et morts un peu plus d’un mois plus tard, le fait qu’on n’ait retrouvé que leurs têtes a une valeur de symbole. Cela signifie que leurs corps sont enterrés quelque part dans le sol algérien, entremêlés avec ceux des milliers d’autres victimes de la même violence, victimes dont ils n’auraient jamais voulu être séparés.

Dans notre monde où tant de voix appellent à la guerre, à la division et au rejet de l’étranger, il est réconfortant que l’Église propose à toute l’humanité ces modèles de fraternité universelle et d’amour inconditionnel.

Armand Veilleux, ocso
(article paru dans Pastoralia décembre 2018)


Les membres de leurs familles ont souhaité prendre part à la diffusion du message des 19 martyrs d’Algérie en ouvrant tous ensemble un site : www.19martyrs.jimdo.com

Parmi les 19 martyrs, figure un religieux belge, le père blanc Charles Deckers, curé de N-D d’Afrique à Alger. Il fut tué dans la cour de la Mission, le 27 décembre 1994. A Bruxelles, il avait fondé et animé le centre El Kalima, un centre de documentation et de dialogue entre chrétiens et musulmans : www.elkalima.be