Suite aux révélations sur les abus commis par Jean Vanier, Mgr Jean Kockerols a souhaité adresser un message à ses amis de l’Arche :
Hurtebise, 24 février 2020
Chers frères et sœurs dans l’Arche,
Après les révélations sur les abus commis par Jean Vanier, je suis atterré. J’ai envie de crier, de pleurer. Il est bon, en temps de crise, de se parler, de s’écrire.
Jamais je ne me suis senti aussi proche de vous. Je ne serais pas qui je suis aujourd’hui, si je n’avais pas croisé sur mon chemin les communautés de l’Arche, si des personnes fragiles et prétendument sans valeur ne m’avaient converti et conduit vers plus d’humanité et de vie en Dieu : Frédéric, Sonia, Baudouin à Aquéro, René, Martine au Murmure, Francis, Jacques, Evelyne à Shanti, Josée, Jean-Luc, Thérèse, Valérie à Betléhem et tant d’autres, dont un grand nombre sont déjà partis au ciel.
Un tremblement de terre, un tsunami, un effondrement, une mort. Des faits tragiques, ignobles, qui dans notre esprit sont irréconciliables avec l’image que nous avions de Jean, comme l’a bien dit Stéphane Posner. Incompatibles, ou au moins avec un écart tellement grand que cet écart représente un déchirement, si douloureux, qui fait tellement mal. Et que la tristesse nous envahit. Emotions fortes. Silences abasourdis. Chagrin infini.
Je vis en communion avec vous cette expérience de deuil, avec ses parts incontournables de déni (« non, ce n’est pas possible »), de révolte (« il nous a donc menti »), de dépression (« lui aussi, alors à qui pouvons-nous nous fier ? qui donc peut être témoin de l’Evangile ? »). Il nous faut accepter que l’histoire des hommes ne ressemble presque jamais à un idéal, mais qu’elle se construit aussi sur des blessures, des cassures, des trahisons.
Oui, temps de deuil, mais autant de conversion et d’espérance. Nous entrons en Carême, qui nous conduira à Pâques. La Croix et la résurrection de Jésus s’inscrivent sur notre horizon : là où Dieu a pris sur lui le péché de l’homme. Depuis Pâques, le péché n’a plus le dernier mot. Il ne l’aura plus jamais : le dernier mot est l’Amour inconditionnel de Dieu.
Quant à l’Arche, ce qui s’est passé montre bien que ce que l’Esprit Saint inspire et conduit ne nous appartient pas, ni à nous, ni à ses fondateurs. Que nos choix les plus vrais sont fondés en réalité sur le Seigneur lui-même, sur Sa Parole et non la parole d’un homme, aussi séduisante soit-elle. Dieu se sert de nous, quel que soit notre péché. Son œuvre à lui est toujours œuvre de vie.
Qu’Il nous accompagne et nous bénisse.
Quand se seront tus les bruits du métier
et que la navette aura fini sa course
Dieu nous montrera la pièce tissée
et dira pourquoi il fallait croiser
le noir profond
avec les fils d’or et les fils d’argent. (Grant Tullar, 1869-1950)
+ Jean Kockerols