Noël 2019 | Homélie de Mgr Kockerols en la Cathédrale

A l’occasion de Noël, Mgr Kockerols a présidé la messe du mercredi 25 décembre à 9h et à 11h en la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles. Son homélie nous permet de réfléchir sur notre regard de croyant envers le Christ. 

« Dieu, personne ne l’a jamais vu » (Jn 1,18) Pourtant, celui qui se rend alors visible à nos yeux, c’est Dieu, en son Fils bien-aimé, le Christ. Alors quel est le regard qui le perçoit ? Quelles sont les qualités de notre regard pour voir Dieu qui se rend visible à nos yeux, le Christ ?

L’évangile de cette nuit, avec le récit de Luc, évoque les bergers. Ils sont d’abord effrayés par la gloire de Dieu qui les enveloppe de sa lumière, tandis les anges leur annoncent une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : un sauveur vous est né ! Ils sont allés voir. Ce qu’ils ont vu : l’enfant avec ses langes, dans la mangeoire, avec ses parents. Rien de plus, rien de moins. Ils ont vu, et ils en témoigneront ensuite. Ils étaient là, pauvres bergers qui vivent dehors, ils n’avaient rien à donner, si ce n’est leurs regards attendris, leur contemplation, leur émerveillement. Il y a souvent dans nos crèches un « ravi », un pauvre, joyeusement surpris. Notre regard sur le Christ est celui d’un joyeux ravissement qui jaillit du cœur, le cœur d’un pauvre qui n’a pas grand-chose à offrir, qui ne peut que recevoir.

Le prophète Isaïe évoque les guetteurs sur les remparts de Sion. Ils voient de loin le messager, celui qui annonce la paix, le Règne de Dieu. Ils voient le Seigneur qui vient, qui vient consoler son peuple. Pour voir au loin, les guetteurs doivent avoir une vue bien aiguisée, une attention soutenue. Ils voient ce que d’autres ne distinguent pas. Eux distinguent les signes, les indices de Celui qui vient. D’autres passent à côté, indifférents. Eux savent : aucun doute n’est plus possible. Notre regard sur le Christ est celui d’un guetteur patient, celui du prophète qui voit ce que l’homme pressé de notre temps ne voit pas, ne voit plus.

S. Jean dans son extraordinaire Prologue survole, tel un aigle[1], le mystère du Verbe de Dieu, le Verbe fait chair. Le Verbe est venu dans le monde, ce monde qui était advenu par lui à l’existence. S. Jean décrit cette mystérieuse proximité entre Dieu et les hommes. Les deux termes, dans les textes grec et latin, se côtoient : Logos sarx égéneto, Verbum caro factum est. Jean a même le culot d’écrire : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu ». Il y aurait donc en Dieu cette capacité de devenir homme[2]. Pour que ceux qui le reçoivent soient faits, soient engendrés enfants de Dieu, fils et filles de Dieu. Dieu si différent… et si proche. Si proche que sa trace est inscrite en notre chair, en notre humanité. C’est le Fils unique, lui qui est auprès de Dieu et qui est Dieu, qui nous l’a fait connaître. Notre regard sur le Christ est donc celui d’un fils, d’une fille, qui le reconnaît Lui, parce que nous avons le même Père, parce qu’il nous est si proche, si familier, qu’il a voulu nous être si intime, que nous soyons appelés les siens.

Notre monde blesse nos regards. Il les disperse, il les biaise, il en élimine les perspectives. Notre monde nous éblouit, nous aveugle. Noël concentre notre regard de croyant sur le Christ, avec les bergers, avec les prophètes, avec tous les enfants de Dieu. « Maintenant, nous connaissons en lui Dieu qui s’est rendu visible à nos yeux et nous sommes entraînés par lui à aimer ce qui demeure invisible[3] » Nous verrons sa gloire, éclairés d’une lumière nouvelle.

Que ce que nous voyons engendre aussi une parole : une parole aussi humble que tenace, une parole libre au risque d’être dérangeante, une parole mystique à l’occasion, mais sans jamais être désincarnée. Aujourd’hui, ne boudons pas notre ravissement.

Amen. »

+Jean Kockerols, 25.12.2019

 

[1] Cf. la troisième colonne et une des clefs de voûte, représentant S. Jean et l’aigle.

[2] Deux capax hominis, comme l’écrivait Ad. Gesché.

[3] Première préface de la Nativité.