Vivre ensemble à Molenbeek par-delà les peurs

(c) Coraline Sambon

« C’est parfois dans la douleur que les gens se rapprochent. Les attentats de novembre 2015 et mars 2016 nous ont aussi permis de reconnaître que nous sommes tous des êtres humains. » L’imam Jamal Habbachich, responsable de la mosquée de la rue des Étangs Noirs, à Molenbeek et le Père Aurélien Saniko, en charge de l’unité pastorale de Molenbeek-Centre témoignent, un an après, qu’il est possible de vivre ensemble en se respectant et en s’appréciant.
Article paru dans la revue Suara, n°67. Plus d’informations et abonnements : www.missio.be

Comment avez-vous réagi, avec vos communautés, aux événements de mars 2016 ?
Jamal Habbachich : Le 13 novembre 2015, après les attentats de Paris, la foudre nous est tombée sur la tête. Nous avons immédiatement du répondre à des questions, nous mettre ensemble pour comprendre pourquoi ces jeunes ont commis ces atrocités. Quand nous commencions à éclaircir les mécanismes ayant conduit à cette folie, les attentats de Bruxelles nous ont touchés en mars. Cette violence nous a vraiment poignardés dans le dos. La stigmatisation, la peur et la méfiance qui ont suivi ont brisé trois décennies de dialogue et d’échange. Ils ont eu un double effet sur les habitants de Molenbeek et les responsables de communautés : cela nous a tous obligés à nous remettre en question. Les communautés, le politique, l’associatif ont dû se rapprocher. Et un objectif s’est imposé à nous : faire notre possible pour que cela n’arrive plus.
Il était indispensable de sensibiliser nos communautés, de comprendre comment et pourquoi ces jeunes, que nous avons vus grandir, nous ont échappé et sont devenus les proies faciles de réseaux criminels.
Avant les attentats, la commune avait lancé un groupe de réflexion interconvictionnel, sur lequel elle s’est appuyée depuis pour renforcer le dialogue, et ça marche. À plusieurs reprises, nous avons organisé des rassemblements interconfessionnels à l’occasion des grandes fêtes religieuses : Noël, la Pâque Juive, la rupture du jeune du Ramadan. Il y a donc des hommes et des femmes de bonne volonté prêts à travailler ensemble.
Aurélien Saniko : Du travail amorcé dès avant le 13 novembre 2015, était ressortie la nécessité d’aller à la rencontre de l’autre, des autres communautés. Des événements ont été organisés, notamment un repas de Noël pour tout Molenbeek, à la mosquée. 400 personnes de toutes convictions étaient présentes ainsi qu’une chorale musulmane et une chorale chrétienne. Noël a été présenté comme la fête de la rencontre.
Il y a également eu une fête de la rupture du jeûne du Ramadan à l’église St Jean-Baptiste de Molenbeek.

Quel soutien – ou quelles réticences – avez-vous perçu dans vos communautés ?
A S : La majorité des membres de nos communautés nous ont suivis. Ils ont compris l’importance du dialogue et de la rencontre. Il y a néanmoins eu des critiques, j’ai même reçu des menaces.
J H : L’opinion publique parle surtout de la minorité musulmane militante et non des « sans voix » qui sont majoritaires et ne souhaitent qu’une chose : vivre ensemble, en paix, avec les autres communautés, briser les barrières psychologiques. Les enfants le vivent déjà à l’école.
Les autres y viendront. Nous irons de l’avant, même si certains ne sont pas d’accord.

Aujourd’hui, la tendance à la stigmatisation a-t-elle augmenté ?
A S : Cela a été évité en expliquant aux fidèles la nécessité de s’ouvrir aux autres communautés pour mieux les connaître. Lors de la fête de la rupture du jeûne du Ramadan, à l’église St Jean Baptiste, en juin dernier, il y avait près de 600 personnes, dont 500 musulmans. Certains chrétiens se sont imaginé que les musulmans allaient envahir l’église. De même, pour la fête de Noël, à la mosquée : quelques-uns étaient réticents mais finalement, les participants étaient contents.
J H : Les politiques avaient peur de la suite des événements. Nous, les responsables religieux, leur avons dit que nous allions tout faire pour favoriser le dialogue. Notre mosquée est un lieu public sans tabou. L’important est d’être vrai. Nous avons par ailleurs laissé se développer un discours de fermeture et de rejet de l’autre, et certains musulmans exploitent ce rejet en instrumentalisant l’islam. Après le 13 novembre 2015, j’ai personnellement reçu des menaces de mort de la part de personnes qui ont signé « EC » (pour État Chrétien). Nous sommes donc aussi, comme musulmans, victimes du terrorisme.

Il y a une question récurrente : pourquoi dans l’islam, peut-on aller jusqu’à l’attentat ?
J H : Certains jeunes, qui ne connaissent pas l’arabe, n’ont pas les clés d’interprétation du texte coranique. Ils en font une lecture littérale et non spirituelle. C’est ce type de lecture, enseignée par les fondamentalistes et instrumentalisée par de politiques et des États, qui conduit à l’extrémisme.

Êtes-vous confiants quant à l’avenir ?
J H : Nous sommes déjà dans l’anticipation. En concertation avec la commune, Aurélien et moi allons dans les écoles, les associations, pour expliquer que ce qui nous unit, notre commune humanité, est plus important que ce qui nous divise. Comme le dit le Coran, « Le Seigneur honore l’être humain ».
Chacun dans son domaine doit toucher le maximum de jeunes pour les préserver de la radicalisation mais aussi des autres fléaux que sont la délinquance, la drogue etc. Les politiques doivent aussi s’impliquer.
A S : Mon rêve pour Molenbeek est que chacun ait l’esprit de citoyenneté, accepte que l’autre soit différent, pense différemment, comprenne que le dialogue est possible après la rencontre.
Quand Jamal m’appelle « frère », je sais qu’il le sort de ses tripes.

Propos recueillis par E. Babissagana & A. Griffon, de Missio-Belgique