James Thewissen, professeur de finance à l’UCL nous livre son ressenti sur l’enseignement à distance

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Le secteur de l’enseignement a été impacté par la crise du corona virus. Dans l’article précédent, nous avions interrogé des professeurs de l’enseignement secondaire. Mais qu’en est-il pour l’enseignement supérieur ? Comment est-ce que les étudiants arrivent à gérer leurs études à distance ? Certains se sont-ils découragés comme c’est le cas pour les élèves en secondaire ?

James Thewissen, professeur de finance à l’UCL a accepté de répondre à nos questions. 

 

  • Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle James Thewissen. Je suis Professeur de Finance à l’Université catholique de Louvain. Après mon doctorat à la Katholieke Universiteit Leuven et Vrije Universiteit Brussel, cela fait à présent six ans que j’enseigne la finance d’entreprise, comportementale et internationale aux Bacheliers et Masters. Quant à ma recherche, je me spécialise dans le développement de nouvelles méthodes basées sur l’intelligence artificielle pour exploiter l’information de textes financiers, et ainsi permettre une analyse automatisée de l’information sur les marchés. Je suis également intéressé par l’étude de cryptomonnaies et des implications de la responsabilité sociétale sur la valeur des entreprises.

  • Quelle a été votre première réaction quand vous avez su que vous allez devoir donner cours en ligne ?

Lors du confinement, j’assurais le cours de finance aux Bacheliers de la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) à l’UCLouvain. Lors de l’annonce de confinement et du passage aux cours à distance, j’ai eu une réaction mitigée, mais je n’ai jamais été anxieux. Beaucoup d’aspects de l’apprentissage se font déjà en ligne. Avec la crise, il s’agissait donc de pousser cet aspect de l’enseignement un peu plus loin. Nous utilisons déjà la plateforme Moodle qui nous permet d’effectuer des travaux en ligne, organiser des groupes à distance, des forums ou de communiquer etc. De plus nous utilisons
l’application Microsoft Teams pour communiquer entre collègues et avec les étudiants. Toutefois, je n’aurais jamais imaginé passer 100% à des cours en ligne aussi rapidement, car le contact en présentiel avec l’étudiant est indispensable pour l’apprentissage. Nous n’avons pas eu le temps d’être trop anxieux car l’équipe rectorale et le Doyen de la faculté se sont montrés très rassurants en communiquant leurs instructions et leur soutien
au personnel et étudiants. L’équipe informatique de l’UCLouvain a également très bien réagi en communiquant clairement sur les points essentiels pour garantir une transition tout en douceur. De plus la Louvain Learning Lab (le service qui supporte l’accompagnement et la valorisation de l’enseignement) était disponible pour suggérer des nouvelles méthodes d’apprentissage. De manière générale, je pense que la transition s’est faite dans le calme et de manière plutôt sereine.

  • En quoi le confinement a changé votre manière d’enseigner ?

Lors de la première semaine, j’ai organisé un cours en « live » suivant le même schéma qu’un cours en présentiel, mais derrière mon écran. Toutefois, j’ai très vite constaté que cette approche n’assurait pas un apprentissage optimal et présentait de sérieuses limites. Par exemple, le manque de contact avec le groupe (impossibilité de lire le language corporel), la possibilité assez limitée de débattre de l’actualité économique du moment (comment attribuer la parole ?), la possibilité de poser des questions ou de s’assurer que le groupe a bien intégré la théorie. Il est aussi plus compliqué de transmettre ma passion pour mon cours à travers un ordinateur. Il a fallu donc changer d’approche.  Lors de la deuxième semaine, au lieu d’un cours en direct, j’ai adopté une approche de cours en podcasts. J’ai donc divisé chaque cours en plusieurs parties et enregistré un résumé de chaque section, que je postais ensuite sur la plateforme. Ces podcasts peuvaient être écoutés à la meilleure convenance des étudiants. Je pense qu’ils ont beaucoup apprécié cette flexibilité. 

Même en temps de coronavirus, ma philosophie d’enseignement reste basée sur le future self de l’étudiant, une approche où l’étudiant établi son propre apprentissage en fonction de ses objectifs en tant qu’acteur futur de la société. Le challenge était donc de les introduire à la finance, de leur transmettre ma passion pour ce milieu et de les intéresser au sujet, et cela à distance. Pour ce faire, je devais aller au-delà d’une communication neutre sur la plateforme et avais besoin d’interagir directement avec eux. Je leur ai donc demandé d’effectuer un travail de groupe. Le travail consistait à réfléchir à un secteur qui les passionnait, de sélectionner les entreprises référentes, et d’en créer un portefeuille financier. Ce travail a été un défi pour la plupart des étudiants, tant en termes de contenu (connaissances à mobiliser) qu’en terme d’approche (pour effectuer le travail à distance). J’ai donc fait en sorte que ce travail implique un rendez-vous d’équipe sur Teams – avec moi – pour être certain de la direction que prenait chaque groupe d’étudiants. Ce « point de contact » avait pour objectif de leur montrer qu’ils n’étaient pas seuls face au cours, mais également pour que je puisse m’assurer de l’acquisition de la matière et d’ajuster les points qui posaient problème. J’ai répondu à beaucoup plus de questions qu’en temps normal, et je pense qu’ils ont particulièrement apprécié le fait de pouvoir me contacter facilement, sans nécessairement avoir à attendre le cours d’après. Ce travail leur a permis aussi de garder un lien social avec leurs amis, avec le corps professoral et de continuer à faire partie de la communauté universitaire. 

  • Comment vos étudiants ont-ils réagi ?

Les étudiants ont, dans l’ensemble, très bien réagi et ont joué le jeu. Ils connaissent et utilisent déjà toutes les technologies auxquelles nous avons eu recours lors des cours en ligne. Je pense que cela été une transition assez fluide pour la plupart d’entre eux. Toutefois, alors que les effets du confinement se faisaient petit à petit ressentir, j’ai pu constater que certains d’entre eux commençaient à s’inquiéter quant à la manière d’aborder le cours. J’ai donc augmenté les points de contact avec eux et communiqué davantage via la plateforme sur les objectifs à atteindre, la matière importante à connaître et fourni davantage de références pour mieux appréhender la matière. J’ai également fourni les solutions aux exercices du cours afin de faciliter l’apprentissage et éviter un stress supplémentaire. Je pense qu’avec une bonne communication, le stress a été beaucoup réduit. J’ai eu quelques retours d’étudiants et il me semble que la plupart sont rassurés, contents du semestre et sont positifs à l’approche des examens. Certains ont par ailleurs déjà choisi la finance comme spécialisation pour l’année prochaine !

  • Avez-vous observé une sorte de découragement auprès des étudiants ? 

Au début, je n’ai pas constaté de découragement. Un doute s’est plutôt progressivement installé en milieu de semestre, lors des vacances de Pâques. Traditionnellement, la plupart des étudiants rentrent chez eux à Pâques, pour voir leur famille, amis etc. Cette année, rien ne changeait et cela a pu chambouler quelques un d’entre eux. Il a dont fallu rassurer, communiquer et entrer en contact avec les étudiants. Le travail de groupe et les points de contact ont donc trouvé tout leur sens à ce moment-là. Après une communication efficace de ma part et de mon assistant, le découragement s’est vite dissipé. 

  • Étiez-vous disponible en dehors de vos heures de cours pour aider les étudiants en difficulté ?

Bien entendu. Passer à l’enseignement en ligne implique une flexibilité et disponibilité plus accrue des étudiants mais aussi du Professeur. Alors qu’en temps normal, les étudiants attendent le cours pour poser leurs questions, l’enseignement en ligne a rendu ce moment plus diffus. Quand un étudiant avait une question, il pouvait la poser directement sur Microsoft Teams. Cette application est également disponible sur mon téléphone, je répondais donc en général dans l’heure. Je pouvais donc directement réagir aux questions reçues. D’après mes retours, je pense que les étudiants ont apprécié cette flexibilité et cette assertivité. 

  • Pensez-vous que les outils digitaux ont été un facteur de rapprochement ?

Cette question peut être longuement débattue, mais mon expérience me montre que les outils digitaux rapprochent plutôt qu’éloignent. L’UCLouvain utilise l’application Microsoft Teams pour communiquer en temps de confinement. Cette application est très bien pensée. Elle m’a permis d’organiser un travail de groupe et donc de rapprocher les étudiants entre eux, ainsi que de garder le contact entre mon assistant et moi. Cette application permet les appels de groupe et le partage d’écran, mais également une prise de contrôle à distance, ce qui permet de travailler directement dans les fichiers des étudiants lorsque c’est nécessaire. Le contact était donc plus naturel, la distance prof-élève s’étant réduite. De plus, sans cet outil, la distance aurait été à la fois géographique et digitale.

  • Quels ont été les bénéfices inattendus que cette expérience vous a procurés ?

Je distingue trois bénéfices. Tout d’abord, j’ai eu l’occasion d’expérimenter différentes pratiques d’apprentissage en ligne, telles que les vidéos, podcasts ou l’utilisation de Teams. Je compte davantage utiliser ces technologies à l’avenir et les intégrer à mes cours, afin d’assurer une approche digitale pour chaque cours. Je suis également content de constater que, même si la distance géographique est plus grande, j’ai pu conserver un lien avec les étudiants et leur transmettre un intérêt pour la finance. J’ai également constaté une plus grande flexibilité pour les étudiants et pour moi-même dans la gestion du temps. La présence physique n’étant pas possible, je pouvais préparer le cours aux heures qui me convenaient et mieux combiner l’enseignement avec ma recherche. Finalement, j’ai pu constater que l’enseignement à distance améliore l’interaction avec certains types d’étudiants, tels que les étudiants plus timides ou réticents à participer aux conversations dans une classe plus traditionnelle. De manière générale, je pense que nous allons tirer beaucoup d’enseignements de cette expérience inédite. 

  • Pensez-vous que fort de ces enseignements cela va changer durablement votre façon d’interagir avec vos élèves ? De quelle manière ?

J’en suis convaincu. Maintenant que les étudiants et professeurs ont goûté à l’enseignement en ligne et à la flexibilité qu’elle apporte, nous allons probablement utiliser ces méthodes dans les années qui viennent, même en dehors de périodes de confinement. Un enseignement distanciel sera le minimum attendu par la plupart des étudiants. Des vidéos/cours en ligne, des communications plus fréquentes et l’utilisation de plateformes de communication telles que Teams ou Zoom sont devenus des outils de tous les jours et le resteront. Le service minimum requis pour un cours va donc à présent inclure le matériel digital. 

Un minimum de présentiel reste toutefois indispensable pour assurer une communication, établir un lien avec les étudiants, discuter, débattre et surtout garder le lien social de la communauté universitaire. Ce point est primordial. La technologie ne remplacera pas un cours en présentiel. A l’avenir, je peux imaginer la situation où un cours se fait principalement de manière présentielle, mais que certaines heures pourraient passer en distanciel sans poser de problèmes de transition. Cela rendra plus flexible l’agenda du Professeur dans le cadre de conférences ou autres séjours de recherche ; mais également celui d’étudiants jobistes, par exemple. Il faut à présent attendre les directives de l’équipe du Recteur et du Doyen pour envisager ce qui sera possible sur le long terme. Je reste toutefois convaincu que l’on va continuer à digitaliser l’enseignement, même après l’épidémie.

  • Aujourd’hui, comment gérez-vous la transition ?

Aujourd’hui, les cours en ligne sont devenus une réalité et grâce aux soutien des différentes équipes de l’UCLouvain, la transition s’est faite assez facilement et a été très enrichissante. Nous avons appris que nous pouvons rapidement passer d’un système de cours en présentiel à un mode distanciel sans conduire à une diminution de la qualité d’apprentissage. Je regrette toutefois le contact direct avec mes étudiants, ainsi qu’avec mes collègues. Je pense qu’à l’avenir, avec ou sans coronavirus, nous allons continuer dans la voie de la digitalisation de l’enseignement et que nous trouverons un équilibre entre les cours distanciels et présentiels.